Dans une salle pas assez éclairée au Centre culturel Boboto, une jeune dame, foulard sur la tête, passe entre des apprenants. «Ici l’ouverture est de combien? Et la vitesse? Il fallait que l’image au milieu soit nette et le reste flou!». C’est Anastasie Langu. Femme, photographe professionnelle, dans la vingtaine. Elle enseigne son art à un groupe de près de 10 personnes, dont 4 filles. Trois formateurs. Dont elle, seule femme.
«Être femme photographe ce n’est pas facile ici en RDC. C’est un métier considéré comme réservé aux hommes. Quand une femme s’y met, elle doit travailler plus que les hommes pour se démarquer et imposer son style. Sinon, elle est écrasée par les hommes», raconte-t-elle.
« La photo est une thérapie pour moi. Je me soigne par la photo. La photographie m’a libérée de mes limites. Je regarde celle que j’étais, et que je ne suis plus», ajoute Anastasie. Dans la photographie professionnelle depuis 2018, ses modèles en effet sont assez osés.
Sur une série des photos, une femme nue. Visage caché. Sur un autre tableau, un visage de femme enroulé de fils de fer. Intitulé: « Limite ». «Dans cette série, j’ai réalisé des autoportraits qui racontent les limites que la société avait placées devant moi et les limites que j’avais moi-même en tant que femme. Je ne me voyais pas parler devant les gens ni être celle que je suis aujourd’hui».
Franchir ses limites
Après ses études en droit à l’Université protestante du Congo, Anastasie se cherchait. «Un jour, je suis allée dans le studio d’un ami qui avait des appareils photos. Cela m’a intriguée. J’ai commencé à poser des questions… Je me suis dit, pourquoi ne pas me lancer dans ça ? Je voulais comprendre. Comme un homme qui courtise une femme veut comprendre le fonctionnement de celle-ci», se souvient Anastasie Langu, surnommée «La Winner».
Le chemin a été long. Sans un soutien sûr dans son entourage immédiat, elle a dû surmonter des préjugés. «On me disait que tu n’as pas fait les beaux-arts, etc. Mais cela a été une source de motivation pour moi. J’ai transformé cette négativité en motivation», explique-t-elle.
Entre 2016 et 2017, l’apprentie photographe s’est formée. Des cours en ligne. Quelques brevets. Et en 2018, elle se lance comme photographe professionnelle. Elle participe à sa première exposition à Dakar au Sénégal. «C’est là que tout est parti. J’ai aussi gagné mon premier prix dans un concours d’art visuel où j’étais l’unique femme».
Anastasie Langu, a fait parler d’elle avec une série de photos, en noir et blanc. Des femmes, la tête à l’envers, les jambes en l’air, des croix dans l’entrejambe. « Je voulais exprimer le K.O., chaos dans lequel vivait mon pays, avec des femmes victimes de violences sexuelles, etc. Je voulais dénoncer, que rien n’allait, rien ne marchait au pays », explique la photographe.
Depuis, elle milite pour qu’il y ait plus de femmes photographes. « Il nous faut travailler plus dur que les hommes, nous prendre au sérieux pour qu’eux aussi nous prennent au sérieux », affirme Anastasie. Pour s’inspirer, la photographe explore souvent son univers personnel pour en ressortir le meilleur, mais pour exprimer ses peines et ses douleurs.
Jacques Matand’