«J’ai estimé seul devant ma conscience de tenter l’expérience du pluralisme politique dans notre pays, avec à la base le principe de la liberté pour chaque citoyen d’adhérer à la formation politique de son choix…Comprenez mon émotion», lâchait le président Joseph-Désiré Mobutu. Quelques goûtes de larmes perlent sur ses joues après l’instauration du multipartisme au Zaïre. C’était le mardi 24 avril 1990 à la N’sele devant ses ministres, magistrats, généraux et parlementaires.
Ce discours a marqué un tournant dans l’histoire politique du Zaïre à l’époque. Une page se tourne. Une nouvelle s’ouvre. Celle de la démocratie. A Kinshasa, ce discours était suivi avec une attention. Hommes et femmes figés devant un poste téléviseur ou à l’écoute d’une radio. Lorsque le président Mobutu annonce l’instauration du multipartisme, c’est la surprise à Kinshasa. Personne n’imaginait un tel scenario.
« Lorsque Mobutu a instauré le multipartisme, nous avons compris que son règne arrivait à la fin »
«On était surpris. Personne imaginer que Mobutu allait annoncer le multipartisme et quitter le MPR, confie maman Jeannette Mongapa, à l’époque sympathisante du MPR (Mouvement Populaire de la Révolution), parti unique. Nous étions choqués, voire étonnés. Là où on suivait ce discours à la télé, on s’est regardé. On n’imaginait pas que Mobutu allait accepter plusieurs partis politique au Zaïre. Lorsque Mobutu a instauré le multipartisme, nous avons compris que son règne arrivait à la fin. On se disait avec plusieurs partis politiques, il n’y aurait pas des désordres».
«C’était le discours phare en ce moment-là. Nous les Zaïrois à cette époque, on était content parce que le parti unique avec la dictature de Mobutu personne ne pouvait parler. Il y avait un moment où quand tu parles en mal de Mobutu, on t’arrête. Quand il a fini son discours du 24 avril, tout le monde était content. Certaines personnes sont sorties dans les rues, d’autres sont allés boire et faire la fête pour célébrer l’avènement du multipartisme. Mobutu avait même surpris ses acolytes», raconte Jean Tubajika, père de famille la cinquantaine révolue, sympathisant de l’UDPS, à l’époque parti de l’opposition.
«Comprenez mon émotion»
«Comprenez mon émotion». Cette phrase prononcée par Mobutu avec gravité a retenu l’attention. Il sort un mouchoir de sa poche et essuie les larmes. Cette phrase est restée gravée dans la mémoire de Zaïrois. Elle a traversé des générations. Placide Mabaka Mukwabuhika, professeur des Universités et analyste politique, affirme que «Mobutu était dans l’émotion ce jour-là. D’après lui, le président du Zaïre ne s’attendait pas, entre-guillemet, à mettre fin au parti État, MPR».
(« Comprenez mon émotion »: Extrait du discours de Mobutu du 24 avril 1990)
Le 24 avril 1990, «c’était un jour exceptionnel et mémorable. Personnellement, je n’étais plus au pays. J’étais déjà en France. J’étais surpris de la manière dont les choses avaient basculé. En même temps, je n’étais pas tant surpris que ça parce qu’il y avait déjà un mouvement qui se mettait en place, partant de l’URSS avec pérestroïka. Ensuite, il y avait aussi le discours de François Mitterrand quand il est venu en Afrique pour ce changement-là. La tendance était un peu à l’ouverture comme on dit, à l’instauration de la démocratie. Le président Mobutu à l’époque n’avait pas d’autre choix que d’ouvrir le pays à la démocratie et au multipartisme», détaille le professeur Placide Mabaka.
Le discours a scellé la fin du MPR, mais pas du mobutisme
«Le discours de Mobutu le 24 avril 1990 avait scellé la fin du MPR, mais pas du mobutisme. Après ce discours-là, il y a eu une forme d’ouverture et de liberté d’expression. Mais aussi, il y a une disparition de l’autorité de l’État. Ce qui a amené la rébellion, c’est aussi la fragilité de la santé de Mobutu. Et du coup, le guide suprême qui ordonnait tout n’étant pas là, personne ne pouvait prendre le relais pour guider les autres. Il n’y avait que lui qui avait la vision. Et comme il n’était plus là, plus personne ne pouvait conduire les affaires», ajoute-t-il.
Le discours du 24 avril a été prononcé après les consultations nationales. Le président Mobutu avait échangé avec les différentes couches sociales sur la situation du pays. Après les consultations, la Conférence Nationale Souveraine (CNS) a été organisée. Un dialogue entre les Zaïrois, dont l’objectif était de trouver la solution aux problèmes qui rongeaient le pays. Le 24 avril 1990, le discours de Mobutu était attendu. Ce discours est un tournant dans l’histoire du Zaïre de Mobutu, RDC aujourd’hui. Il a marqué la fin du parti État et l’ouverture au multipartisme. 31 ans jour pour jour, certains Congolais s’en souviennent encore.
Trésor Mutombo