Elections RDC : «…nous sommes en train de rassembler les éléments pour avoir un processus électoral explosif» (Christian Moleka)

Affaire Chérubin Okende, climat politique en RDC, processus électoral… A cinq mois des élections, Christian Moleka, analyste politique et coordonnateur de la Dynamique des politologues de la RDC (Dypol), affirme que la RDC se dirige vers un processus « électoral explosif » dans une interview à Sahutiafrica.

Ce jeudi 13 juillet. Ce jour-là, Kinshasa s’est réveillé avec une nouvelle de deuil. Qui est mort ? Chérubin Okende, ancien ministre congolais des Transport et porte-parole d’Ensemble, parti de Moïse Katumbi. Son corps, criblé de balles, a été retrouvé dans sa jeep teintée. Cet assassinat agite la classe politique, fait réagir et suscite l’indignation. Ensemble pour la République dénonce « un assassinat politique », alors que les autorités ont annoncé avoir ouvert une enquête pluridisciplinaire, en associant les services étrangers. A cinq mois des élections, la tension est à son comble entre le pouvoir et l’opposition. Entre-temps, les leaders de l’opposition exigent un nouvel audit du fichier électoral par un cabinet indépendant. Il s’agit notamment de Martin Fayulu, qui conditionne sa participation aux élections par cet audit. Pas question, pour la Commission électorale nationale indépendante (Céni), qui a pourtant consulté des leaders de l’opposition pour tenter d’obtenir l’adhésion de l’opposition dans le processus électoral. Pour l’analyste Christian Moleka, le climat politique actuel ne garantit pas des élections apaisées, prévues en décembre. Entretien.

SahutiAfrica : Que vaut Chérubin Okende dans la scène politique congolaise ?

Christian Moleka : Chérubin Okende est un porte-parole d’un opposant déclaré candidat président. Donc, ça veut dire qu’il est l’une des voix de l’expression de l’opposition du pays. Ensuite, du point de vue institutionnel, il a été ministre il y a quelque temps. Il fait partie des ministres, qui ont accepté de quitter le gouvernement pour rejoindre Moïse Katumbi dans sa nouvelle position de quitter l’Union sacrée. C’est quelqu’un qui a fait preuve de courage politique pour quitter son poste au gouvernement et rejoindre un opposant. Ensuite, il est parmi ceux qui ont porté la motion qui a fait tomber le gouvernement Ilunkamba. Il a toujours joué un rôle de premier plan au sein du Parlement et du gouvernement, en prenant une posture très claire de quitter l’Union sacrée. Cela veut dire qu’il est acteur connu sur la scène politique de notre pays et, qui aurait pu peut-être jouer un rôle assez important en tant que porte-voix d’un opposant déclaré candidat président.

SA : Son assassinat crispe-t-il le climat politique ?

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Ch.M : Nous avions déjà un climat politique très tendu depuis les évènements du mois de mai avec la répression policière de la marche de l’opposition et les arrestations des opposants. On a vu l’arrestation de Franck Diongo, Mike Mukebayi et Salamon Kalonda, tous proches de Moïse Katumbi. Donc, le climat politique était déjà très tendu. Une violence verbale et une radicalisation des acteurs. Et vous passez de la violence verbale à la violence physique. C’est vraiment, je crois, un moment de crispation de la crise. Et qui peut, si on ne prend pas garde, nous amener vers plus de tensions. Tout dépendra de la qualité de l’enquête qui sera menée, des efforts fournis par chaque partie pour la désescalade à la fois verbale, mais également symbolique, puis des consensus que nous pouvons trouver sur le processus. Parce qu’on le sait. La toile de fond de la crise, c’est le processus électoral. Donc, toutes les violences, toutes les tensions qui tournent autour de l’enjeu électoral. Et si elles ne sont pas vidées avec cohérence va nous amener avec plus de tensions politiques et éventuellement vers plus de violences.

S.A : En quoi cette enquête va être déterminante ?

Ch.M : Lorsqu’il y a un évènement aussi troublant que la mort d’un opposant, la nécessité de faire preuve de clarté et d’appel à de la détente appellent les décideurs à prendre des décisions courageuses. C’était une décision courageuse pour le gouvernement d’accepter déjà que l’enquête soit ouverte à des partenaires extérieurs pour renforcer un peu la confiance que les différentes parties peuvent avoir sur des conclusions. C’est également un signe de détente politique parce que ça permet de décrisper un peu les tensions que nous avions. Ensuite, tout dépendra de la capacité de l’enquête à donner des résultats satisfaisants. Ça veut dire à établir les vrais responsables, commanditaires et à donner des peines exemplaires. Si l’enquête finit en eau de boudin, parce qu’on sait comment les enquêtes finissent chez nous, cela va entretenir toutes les spéculations qu’il y a et des stigmatisations qu’on a déjà dans les médias au tour de qui est l’auteur ? Qui ne l’est pas ? Ces spéculations vont entretenir un climat d’incertitude qui ne va pas nous aider à avoir une fin d’année apaisée.

SA : Le climat politique actuel est-il propice pour qu’on ait des élections apaisées ?

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Ch.M : De plus en plus, les signes nous montrent que nous aurons difficilement d’élections apaisées. Nous sommes dans une sorte de zone de turbulences assez élevées. Les élections apaisées, ce sont aussi les discours politiques apaisés. Mais quand vous avez les discours va-t-en-guerre qui se lèvent de plus en plus, l’intolérance politique que nous écoutons tous, la radicalisation des acteurs de tout bord, c’est des signes qui montrent que nous n’aurons pas les élections plus au moins apaisées. Ensuite, lorsque le processus n’est pas inclusif, ne renforce pas par des éléments de crédibilité qui permettent à chaque partie de dire que le jeu est clean, nous avons des éléments qui ne peuvent nous amener vers des élections apaisées. Il y a la contrainte sécuritaire. Vous avez beaucoup de zones de conflits aujourd’hui : Maluku, Kwamouth, plus de cinq millions de déplacés dans l’est du pays. Comment dans ce contexte de tensions communautaires, nous pouvons avoir des élections apaisées. Il faut associer cela au fait que nous avons encore de la belligérance entre le M23 et le gouvernement, même si nous sommes peut-être en phase de gel aujourd’hui. Donc, il y a beaucoup d’éléments qui font que nous réunissons aujourd’hui des éléments pour ne pas avoir un processus apaisé (absence d’inclusivité, l’audit du fichier qui est contesté, le fichier électoral qui n’est exhaustif). Nous sommes en train de rassembler tous les éléments de tableau pour avoir un processus électoral explosif qui va accoucher sur une contestation et éventuellement une violence communautaire, des déplacés internes, le fameux débat de la légitimité autour de la vérité des urnes.

SA : Que faut-il faire ?

 Ch.M : A un moment, il faut prendre le courage politique de dire, arrêtons-nous et évaluons ensemble le processus. Là, ça ne marche pas, essayons d’améliorer, notamment du côté de la Céni. S’il faut auditer le fichier pour rassurer les parties prenantes, tout en sachant que ça nous faire perdre du temps, c’est le prix à payer aujourd’hui pour que nous puissions avoir un processus plus au moins inclusif. Si nous nous entêtons avoir un processus non inclusif, tout le monde sait qu’on ira vers le mur. Libre aux politiques de décider, si nous pouvons avoir un dialogue avant ou après les élections, parce qu’il y a toujours un dialogue qu’on aura.

 Entretien réalisé par Trésor Mutombo

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