Avec le déploiement annoncé de la force de l’organisation des Etats d’Afrique australe (SADC) pour un mandat offensif, Kinshasa s’est-il agacé de l’inaction de la force régionale Est-Africaine face aux rebelles du M23 ? C’est la question que tout le monde se pose.
Visiblement, les jours de la force Est-Africaine sont comptés. De plus en plus, Kinshasa durcit le ton et s’agace de l’inaction de cette force face aux rebelles du M23. « Est-ce que les troupes de l’EAC ont échoué ? C’est simple, elles n’ont pas donné les résultats escomptés. Je parle sans langue de bois. C’est clair comme l’eau claire dans un verre clair. Autrement, on n’aurait plus parlé du M23. Ça ne demande pas une démonstration particulière », a déclaré Christophe Lutundula, ministre congolais des Affaires étrangères.
Dans la foulée, le chef de la diplomatie congolaise a annoncé un probable déploiement « des forces de la SADC entre le 15 et 20 juin ». Avant cette annonce, le président Tshisekedi s’est montré critique à l’égard de la force régionale Est-Africaine, dénonçant ce qu’il appelle une cohabitation entre certains membres de la force régionale et des rebelles du M23.
Kinshasa a-t-il constaté l’échec de la force régionale de l’EAC dans sa mission de pacifier l’est de la RDC ? « Autant Kinshasa semble mettre l’accent sur l’usage de la force comme mécanisme. Autant les autres acteurs tiennent des propos qui sont pratiquement à l’opposé. Cette sortie médiatique de Kinshasa traduit cette méfiance ou probablement cette rupture de confiance qu’il y a entre Kinshasa et les pays de l’EAC », analyse Christian Moleka, politologue congolais et coordinateur de la Dynamique des politologues de la RDC (Dypol), à Sahutiafrica.
Il évoque aussi la réaction de la RDC après la nomination unilatérale par Kenya du nouveau commandant de la force de l’EAC, mais aussi l’échec de la réunion d’évaluation censée se tenir à Goma. En fait, le Kenya a désigné le général Alphaxard Muthuri à la tête de cette force quelques heures après la démission du général Jeff Nyagah. Selon Africa Intelligence, le président Tshisekedi reproche à l’ancien commandant de la force Est-Africaine son refus d’affronter directement la rébellion du M23. Pourtant, le général Jeff Nyagah a justifié sa démission par crainte pour sa sécurité et des pressions politiques.
Depuis son déploiement, qui a commencé fin 2022, cette force est sous le feu des critiques. Et surtout dans l’orientation de ses missions. Kinshasa s’attendait à un mandat beaucoup offensif. Sur le terrain, la réalité est tout autre. Le M23 occupe toujours plusieurs de ses positions. Et ce, malgré des appels et des annonces de retrait.
Kinshasa décide de se tourner encore une fois vers la SADC. Sans doute, il s’agit d’un partenaire qu’il connaît mieux. Ce qui ne surprend pas l’analyste Christian Moleka. « Manifestement, Kinshasa constate que son plan idéal de mettre terme aux mouvements armés via la force régionale ne marche pas. D’autant plus que les dispositifs comme la force offensive n’a jamais été activé à ce jour. Et que six mois après, le bilan sur le terrain est assez modeste par rapport aux attentes. Le M23 continue encore d’occuper des espaces là où il a semblé se retirer », indique-t-il.
Pour l’analyste, la RDC a constaté à la fois un aveu d’échec et l’imbroglio autour des dispositifs entre les différents acteurs sur la perception des missions de la force de l’EAC. Le déploiement de la force régionale de la SADC peut avoir quel impact ?
« Cela risque d’impacter les relations entre Kinshasa et ses amis de l’EAC parce qu’au-delà des aspects militaires, il se construisait une dynamique de coopération économique entre la RDC et le bloc de l’est. Cela s’est d’ailleurs traduit par l’installation d’une banque kenyane (Equity-BCDC) à Kinshasa. Ce qui veut dire que les coopérations économiques qui sous-entendaient cette coopération militaire vont certainement se refroidir, même si elles pourront continuer. Kinshasa n’a pas encore manifesté sa volonté de quitter l’ensemble économique, malgré ses réserves sur les questions militaires », dit Christian Moleka.
Mais la société civile du Nord-Kivu s’oppose au déploiement de la force de la SADC. Pourquoi ? « Notre crainte est qu’en un certain moment, ces étrangers risquent de refuser de quitter le sol congolais. Ça aura été grave et ce sera difficile à gérer. Ils peuvent partir tout, en continuant à renforcer les agresseurs et les groupes armés. Donc, notre pays ne devrait pas être un champ expérimental où des pays qui n’ont pas d’expériences de guerre doivent envoyer des militaires », a-t-il déclaré Edgar Katembo Mateso, responsable de la société civile locale.
Trésor Mutombo