Comment résoudre le problème d’embouteillages à Kinshasa, capitale congolaise ? Dans une tribune publiée par Sahutiafrica, Dédé Watchiba, professeur d’universités, chercheur et analyste politique, diagnostique le problème et propose des pistes de solution.
Kinshasa, la capitale de la RDC, continue d’être confrontée à une congestion routière paralysante qui impacte considérablement la vie quotidienne de ses habitants. Circuler dans la ville est devenu un véritable calvaire, aggravé par une concentration d’activités dans la commune de la Gombe, le cœur administratif et économique de la capitale. Chaque jour, des milliers de travailleurs convergent vers cette zone, saturant les principaux axes de circulation. À cela s’ajoutent des infrastructures inadéquates, une planification urbaine insuffisante, et des comportements indisciplinés sur les routes.
Ce problème n’est pas nouveau, et c’est ma nième réflexion sur cette question, un sujet auquel je reviens régulièrement pour enrichir le débat public. Si d’autres villes dans le monde ont réussi à résoudre ce défi grâce à des politiques innovantes, Kinshasa a encore beaucoup à apprendre et à entreprendre.
Les causes profondes de la congestion à Kinshasa
Plusieurs facteurs expliquent les embouteillages récurrents à Kinshasa. La concentration des activités économiques et administratives dans la commune de Gombe en est l’un des principaux moteurs. Cette situation force une majorité des travailleurs à se déplacer quotidiennement vers cette commune, engorgeant les routes et allongeant les temps de trajet. À cela s’ajoute une indiscipline généralisée des usagers de la route, avec un non-respect flagrant du code de la route. Cette indiscipline est amplifiée par l’inefficacité des forces de l’ordre, souvent accusées de corruption et d’aggraver la situation.
Le réseau routier, déjà insuffisant, est en mauvais état. La signalisation est quasiment inexistante, et les rares routes praticables ne sont pas adaptées à l’augmentation constante du nombre de véhicules. Par ailleurs, l’absence de solutions de transport multimodal, telles que des trains urbains, des bus en site propre ou des systèmes de transport fluvial, pousse la majorité des Kinois à dépendre des véhicules individuels, des motos, des bus et des taxis.
Enfin, les problèmes de gestion urbaine, notamment l’absence de zones de stationnement et la multiplication des barrages routiers injustifiés, viennent compliquer davantage la circulation. Les autorités locales n’ont pas mis en place de mécanismes efficaces pour gérer les véhicules en panne ou en contravention, aggravant ainsi les perturbations sur les routes.
Une approche idéale pour résoudre le problème
Pour s’attaquer à cette problématique de manière efficace et durable, il est crucial d’adopter une approche globale et structurée. Les autorités compétentes doivent initier une réflexion stratégique en mobilisant toutes les parties prenantes. Cela pourrait se traduire par la mise en place d’une Task Force dédiée à la mobilité urbaine. Ce groupe de travail, composé d’experts en urbanisme, transport, économie et sociologie, serait chargé de concevoir des solutions adaptées au contexte kinois et de coordonner leur mise en œuvre.
Une autre option serait l’organisation des États généraux sur la mobilité urbaine à Kinshasa. Ces assises permettraient de réunir tous les acteurs concernés – gouvernement, secteur privé, société civile et partenaires internationaux – pour établir une feuille de route claire. Une attention particulière devrait être accordée à l’implication des citoyens, afin d’intégrer leurs besoins et suggestions dans les décisions.
Des solutions concrètes et adaptées
Les solutions pour fluidifier la circulation à Kinshasa doivent être pensées à court, moyen et long terme. Il est essentiel d’investir dans des infrastructures modernes et de promouvoir des changements structurels dans les habitudes de déplacement. La déconcentration des activités administratives et économiques est une priorité. En encourageant le développement de pôles d’activités dans les zones périphériques, il serait possible de réduire la dépendance excessive à Gombe.
Le télétravail, pour les emplois qui le permettent, pourrait significativement réduire le nombre de déplacements quotidiens. Cela nécessiterait un changement dans les pratiques de management, avec une gestion axée sur les résultats et des indicateurs de performance clairs.
Par ailleurs, l’introduction de systèmes de transport multimodal, tels que des bus rapides en site propre, des trains urbains et des ferries, offrirait des alternatives viables aux véhicules individuels. Le réseau routier existant doit être réhabilité de manière urgente, avec une attention particulière à l’installation de feux intelligents et de marquages au sol clairs.
La formation des agents de la circulation et la lutte contre la corruption au sein de la police routière sont également indispensables. Cela pourrait inclure l’automatisation de certains aspects de la gestion du trafic pour limiter l’intervention humaine. Enfin, la mise en place d’un service de dépannage rapide pour dégager les véhicules en panne ou mal stationnés contribuerait à fluidifier les routes.
Inspiration internationale et opportunité pour Kinshasa
Des exemples tirés de quelques villes africaines montrent qu’il est possible de transformer la mobilité urbaine en adoptant des politiques adaptées au contexte local. À Addis-Abeba, en Éthiopie, un système de train léger a été mis en place pour desservir les principaux axes de la ville, réduisant considérablement la dépendance aux véhicules individuels et offrant une alternative fiable aux habitants. Ce projet a permis de décongestionner les routes tout en stimulant l’économie urbaine.
À Rabat et Casablanca, au Maroc, des tramways modernes ont été introduits avec des trajets bien planifiés qui intègrent des zones résidentielles et commerciales. Ces infrastructures ont non seulement fluidifié la circulation, mais ont également encouragé un développement urbain mieux structuré autour des axes de transport.
En Afrique du Sud, la ville de Johannesburg a développé un réseau de bus rapides en site propre appelé Rea Vaya, qui a amélioré l’accès aux zones périphériques tout en réduisant les embouteillages dans le centre-ville. Ce système, inspiré des meilleures pratiques internationales, est aujourd’hui un modèle d’efficacité en Afrique subsaharienne.
Enfin, à Nairobi, au Kenya, bien que les défis persistent, des efforts sont en cours pour introduire des solutions intégrées, comme des zones de stationnement stratégiques et des bus électriques, tout en modernisant les principales routes.
Ces initiatives africaines montrent qu’avec une planification adaptée, des investissements ciblés et une collaboration entre les parties prenantes, il est possible de surmonter les problèmes d’embouteillages et d’améliorer la mobilité urbaine, même dans des contextes économiques et sociaux complexes. Kinshasa peut s’en inspirer pour concevoir des solutions qui répondent aux besoins spécifiques de ses habitants.
Conclusion
Les embouteillages à Kinshasa ne sont pas une fatalité. Avec une volonté politique forte, une mobilisation des parties prenantes et une approche systématique, la ville peut relever ce défi. Les solutions existent, mais elles nécessitent une coordination efficace et un engagement ferme des autorités pour les mettre en œuvre. Cette nième réflexion est un appel à agir, à rompre avec le fatalisme ambiant, et à faire de Kinshasa une ville où la mobilité urbaine n’est plus synonyme de frustration, mais d’efficacité et de modernité.
Dédé Watchiba, Professeur d’Universités, chercheur et analyste politique