A quelques jours de l’investiture de Donal Trump, qui fait son grand retour au pouvoir aux Etats-Unis, Dédé Watchiba, professeur d’Universités et analyste politique, décrypte les nouveaux enjeux de la géopolitique mondiale dans une tribune publiée à Sahutiafrica.
Les récents propos de Donald Trump concernant le Groenland et le Panama ainsi que la déclaration d’Emmanuel Macron sur les relations entre la France et l’Afrique, illustrent deux dynamiques géopolitiques distinctes, mais tout aussi révélatrices des mutations actuelles dans l’ordre mondial. Ces deux dossiers méritent une analyse approfondie pour comprendre leurs contextes respectifs, les enjeux qui les sous-tendent et les implications géopolitiques qu’ils pourraient avoir à court et long termes.
En évoquant la possibilité d’annexer le Groenland et le Panama, Donald Trump s’inscrit dans une logique stratégique qui reflète les nouvelles priorités géopolitiques des États-Unis. Le Groenland, territoire autonome du Royaume de Danemark, représente une région stratégique importante pour le contrôle de l’Arctique. Les États-Unis ont toujours manifesté un intérêt particulier pour cette région, notamment depuis l’offre de Harry Truman en 1946 pour acheter l’île.
Aujourd’hui, cet intérêt est renforcé par le réchauffement climatique qui libère progressivement les routes maritimes arctiques et rend accessibles des ressources naturelles considérables, notamment des hydrocarbures, des terres rares et des minerais critiques. En outre, l’Arctique est devenu un théâtre de rivalités géopolitiques entre les grandes puissances, notamment la Russie et la Chine, cette dernière ayant récemment investi dans des infrastructures minières et portuaires au Groenland. Pour les États-Unis, la montée en puissance de Pékin dans cette région stratégique représente une menace directe à leur influence, d’où les déclarations de Trump, qui traduisent une volonté de contrecarrer cette avancée chinoise.
Le cas du Panama est également emblématique de la lutte d’influence sino-américaine. Le canal de Panama, qui connecte l’océan Atlantique et l’océan Pacifique, est un point névralgique du commerce maritime mondial. Depuis son expansion en 2016, le canal a vu une augmentation significative de son importance stratégique, attirant l’intérêt de puissances économiques comme la Chine. Pékin a multiplié les investissements dans la région, ce qui a alarmé Washington, soucieux de conserver son contrôle historique sur cette infrastructure stratégique. En menaçant d’annexer le Panama, Trump vise à réaffirmer la doctrine Monroe, selon laquelle les États-Unis considèrent l’Amérique latine comme leur sphère d’influence exclusive, et à s’opposer à toute ingérence chinoise.
Les implications géopolitiques de ces positions sont multiples. D’une part, elles témoignent de la montée d’une posture unilatérale des États-Unis, qui semble rejeter les cadres multilatéraux et les principes de souveraineté des États pour défendre leurs intérêts stratégiques. Cela risque de fragiliser davantage les relations entre Washington et ses alliés, notamment le Danemark, qui considère toute idée d’annexion du Groenland comme une atteinte à sa souveraineté. D’autre part, une escalade dans ce type de rhétorique pourrait exacerber les tensions avec la Chine, déjà engagée dans une guerre commerciale et technologique avec les États-Unis, et accélérer la militarisation de l’Arctique. En Amérique centrale, ces déclarations risquent de renforcer l’hostilité envers Washington, déjà critiqué pour son interventionnisme dans la région, et de pousser les pays d’Amérique latine à chercher des alliances alternatives, notamment avec Pékin.
Sur un autre front géopolitique, Emmanuel Macron a récemment déclenché une polémique lors de la conférence des ambassadeurs, en exprimant son regret face à un prétendu manque de reconnaissance des pays africains pour les efforts français dans la lutte contre le terrorisme. Ces propos interviennent dans un contexte où la France est de plus en plus critiquée pour son rôle en Afrique, notamment dans le cadre des opérations militaires Barkhane et Serval, menées au Sahel depuis 2013. Ces interventions avaient pour objectif de contenir la menace djihadiste dans la région, mais elles ont également révélé leurs limites, face à la persistance de l’insécurité et à la complexité des dynamiques locales. De nombreux Africains considèrent ces interventions comme une forme de néocolonialisme, motivée par des intérêts économiques et stratégiques, notamment le contrôle des ressources minières et l’influence sur les gouvernements locaux.
Les critiques se sont amplifiées avec la montée d’un sentiment anti-français dans plusieurs pays africains, alimenté par une perception de mépris et d’ingérence. Dans ce contexte, les propos de Macron ont été perçus comme un rappel maladroit de la “dette de gratitude” que les anciennes colonies devraient avoir envers leur ancienne puissance coloniale. Cette déclaration risque d’aggraver la défiance envers la France, déjà fragilisée par l’expansion de l’influence russe, chinoise et turque en Afrique.
Les implications géopolitiques de ces propos sont significatives. D’une part, elles soulignent l’incapacité de la France à réinventer ses relations avec l’Afrique dans un cadre partenarial et respectueux des aspirations locales. D’autre part, elles risquent de renforcer l’isolement diplomatique de Paris sur le continent, en encourageant des alliances alternatives avec des puissances émergentes. À l’échelle mondiale, ces tensions illustrent également le repositionnement des relations Nord-Sud, marqué par une volonté accrue des pays du Sud de s’affranchir des anciennes dépendances et de diversifier leurs partenariats.
Ainsi, les déclarations de Donald Trump et d’Emmanuel Macron traduisent deux approches différentes, mais symptomatiques des tensions géopolitiques contemporaines. Tandis que Trump semble privilégier une posture agressive pour défendre les intérêts stratégiques américains, Macron peine à adapter son discours et ses actions aux nouvelles dynamiques africaines. Ces deux cas mettent en lumière la nécessité, pour les grandes puissances, de repenser leurs stratégies internationales dans un monde en pleine mutation, où la souveraineté, l’autonomie et la légitimité occupent une place centrale.
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Dédé Watchiba, professeur d’Universités et analyse politique