Alors que le Soudan s’embrase dans un conflit armé sanglant, le général Abdel Fattah al-Burhan, 62 ans, et le général Mohamed Hamdane Daglo alias Hemetti, 47 ans, restent sourds aux appels au cessez-le-feu.
« La vie est impossible à Khartoum », confie un habitant de Khartoum à l’AFP. Depuis samedi 15 avril, le Soudan est plongé dans le chaos. L’armée et les Forces paramilitaires de soutien rapide s’affrontent. Bilan depuis que ces combats sanglants ont éclaté ? Plus de 350 morts, des milliers de blessés… Près de 20.000 Soudanais se sont refugiés au Tchad, voisin, selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
Conflit ouvert
Processus de transition, dialogue avec des civils, réforme de Forces de soutien rapide et leur intégration au sein de l’armée… al-Burhan et Hemetti décident d’appuyer sur la détente après plusieurs mois des divergences. La transition au Soudan, elle, prend un autre coup politique et économique. Surtout lorsque l’on sait que les bailleurs de fonds ont fermé les robinets depuis le putsch d’octobre 2021. A Khartoum, le climat est loin d’être à la sérénité. Le général al-Burhan, à la tête de l’armée régulière, est formelle. « Il n’y aurait plus de discussion politique avec les paramilitaires de FSR », a tranché le président de la transition au micro d’Al Jazeera. Il appelle Hemedti « à cesser de vouloir contrôler le pays, faute de quoi il se fera écraser militairement ».
Le général Hemedti a, lui, affirmé après un échange avec Anthony Blinken son « engagement à protéger les civils » malgré cette guerre de frères d’armes. Pour les observateurs et des spécialistes des questions africaines, cette situation était prévisible. « Ce n’est pas une tentative de coup d’Etat, mais il s’agit d’un affrontement entre deux concessions du pouvoir qui peut déboucher à une guerre civile. C’est un duel à mort. Il faut un vainqueur et un vaincu. Le conflit peut durer le plus longtemps possible et celui qui va prendre le pouvoir par la force ne saura l’exercer », analyste le journaliste Seidik Abba, spécialiste des questions africaines, à Sahutiafrica.
Al-Burhan-Hemedti, face à face
Pour le Sénégalais Ibrahima Kane, analyste politique, ce qui se passe au Soudan est complètement « catastrophique ». « On ne sait même pas quand cela va s’arrêter, craint-il. Ce conflit va nécessairement aboutir à quelque chose d’inédit parce qu’il faudra qu’il ait un vainqueur. Alors, si l’un a là-dessus sur l’autre, cela va créer une situation politique et sécuritaire. Jusque-là, il n’y a pas de moyens de trouver une solution immédiate à cette crise. On est dans une situation de conflit armé ouvert ».
Les deux généraux rivaux ont évincé les civils lors d’un coup force en octobre 2021. Mais leurs relations n’ont vraiment jamais ressemblé à un fleuve tranquille. Le général al-Burhan, né à Gandatu dans la région de Khartoum, incarne le visage du pouvoir militaire au Soudan. Autrefois ennemi du président Omar el-Béchir, évincé en avril 2019, al-Burhan était sans doute le leader incontestable. Depuis son arrivée au pouvoir, le chef de la junte n’a de cesse de cultiver les liens diplomatiques de Khartoum. Il a même normalisé les relations avec Israël. Sans oublier ses liens forts avec le président al-Sissi de l’Egypte, influente voisine.
Le contrôle du pouvoir ?
Mais son rival, Hemedti, numéro 2 de la transition, l’avait accusé d’être « un islamique radical » et qualifié ce coup de force d’octobre 2021 « d’échec ». Contrairement au général al-Burhan, Mohamed Daglo se bâtit une réputation à la tête des miliciens Janjawid, en menant la politique de la terre brûlée au Darfour, sa région natale, sous les ordres d’Omar el-Béchir. Puis l’homme a étendu sa sphère d’influence à Khartoum. Mais ses troupes sont accusés d’avoir réprimé dans le sang les manifestants lors de la révolte populaire d’avril 2019. Depuis, Hemedti dit avoir changé et se pose désormais en parangon de l’Etat civil, mais aussi en adversaire farouche de l’islam politique.
« Le général Hemedti a pratiquement les mêmes forces du point de vue du nombre et d’équipement que l’armée nationale. Il avait le sentiment qu’il ne disposait pas d’autant de pouvoir à l’intérieur du système. Ce qui était aussi une source de conflit. Il a quand même une ascendance sur l’armée nationale. Cela est totalement visible », analyse Ibrahima Kane.
« Le Tchad a les cartes en mains»
Sur le terrain, la situation est chaotique. Les combats s’intensifient, alors qu’Antonio Guterres, secrétaire générale des Nations Unies, a tenté de brandir la fin du mois sacré de Ramadan pour obtenir un cessez-le-feu. Sans succès. Le général al-Burhan affiche son ambition d’en finir. Le général Hemedti et ses paramilitaires, biberonnés à la guerre pour avoir combattu au Yémen, résistent. Entre-temps, la région est aussi secouée : crises diplomatiques et montée de la menace djihadiste. Voisin du Soudan, le Tchad pourrait jouer un rôle important dans ce conflit.
« Le Tchad a les cartes en mains et a une certaine neutralité. Il est à la fois proche de deux belligérants. De ce point de vue, on peut considérer un pays qui peut être acteur. Mais il faut qu’il mène une démarche régionale portée par une institution régionale, dont l’Union africaine. Le Tchad a tout intérêt à ce que les choses se calment. Car, ça peut déborder sur sa frontière », pense Seidik Abba.
Ce duel, qui ensanglante les rues de Khartoum, peine à trouver une issue. Les deux camps ont retourné leurs armes l’un contre l’autre. Jusqu’où peut-il aller ? « Les combats peuvent se transformer en une guerre civile parce que si jamais les forces de soutien rapide sont vaincues, elles peuvent se replier dans le Darfour, d’où elles viennent pour se transformer à une sorte de rébellion armée qui va continuer à déstabiliser le pays. Cela pourrait s’installer dans une sorte de Somalisation. Comme on sait. Depuis la chute al-Barres en 1991, la Somalie s’est désintégrée et est instable aujourd’hui malgré les efforts qui sont faits », prévient le journaliste.
Trésor Mutombo