Le site d’informations panafricain Sahutiafrica publie la deuxième partie de l’entretien avec la journaliste britannique Michela Wrong, 62 ans, auteure de « Rwanda, assassins sans frontières ». Son livre révèle la face cachée du régime du président Paul Kagame et ses escadrons de la mort.
Alors qu’elle séjourne à Kinshasa, capitale congolaise, la journaliste Michela Wrong, qui a couvert le Rwanda durant 30 ans pour le compte notamment de Reuters et Financial Times, enchaîne des interviews. Dans « Rwanda, assassins sans frontières », sorti en français aux éditions Max Milo, la journaliste britannique dresse le portrait d’une dictature africaine moderne créée à l’image effrayante du président Kagame. Elle place l’assassinat de Patrick Karageya, ex-responsables de services de renseignements extérieurs du Rwanda, retrouvé étranglé dans sa chambre d’hôtel à Johannesburg en Afrique du Sud en 2013, au centre de son enquête, mais aussi ne comprend pas le silence de la communauté internationale face à ce qui se passe dans l’est de la RDC, où des groupes armés sèment terreur et désolation.
Pour Michela Wrong, le Rwanda déstabilise la partie orientale de la RDC à travers le Mouvement du 23 mars (M23). Les relations entre Kinshasa et Kigali, qui oscillent souvent entre tiède et volcanique, ne ressemblent plus à un fleuve tranquille depuis la résurgence de ce mouvement. La RDC accuse le Rwanda de l’agresser à travers le M23. Des accusations que Kigali a toujours niées, même si un rapport onusien l’atteste. Entretien.
Sahutiafrica : Vous placez l’assassinat de Patrick Karageya au centre de votre livre. Pourquoi ce choix ?
Michela Wrong : C’était un événement tellement choquant et bizarre. J’ai trouvé qu’il fallait l’expliquer parce que souvent, on pense que Kagame ne s’en prend qu’aux opposants hutus. Il y a tout un groupe d’anciens dirigeants du FPR, anciens militaires et ses proches, qui sont dans l’opposition et en exil. Ils dénoncent le régime. On a un peu tendance à oublier que même dans sa propre communauté, il y a des gens qui sont vraiment déçus et malheureux de comment il a changé le mouvement de FPR et de comment il a rendu la situation au Rwanda. Il ne faut pas non plus oublier cette partie de la communauté tutsie.
SA : Quelle évolution faites-vous de cette rébellion, FPR ?
MW : Je pense qu’au début, c’était un groupe militaire avec plusieurs commandants. Il y avait un côté intellectuel, mais aussi des politiciens hutus. Au début, c’était multiethnique. De plus en plus, tout tourne autour d’un homme, qui s’appelle Paul Kagame. C’est justement pour cette raison que plusieurs de ses proches ont quitté. Ils se sont dits : il y a maintenant un culte de personnalité, vous êtes présentés comme l’homme qui a sauvé le Rwanda, c’est vous qui voyager partout à l’étranger et secouer les mains à Washington, Paris, Londres…
SA : Estimez-vous qu’il y a un contraste entre la réalité au Rwanda et l’image qu’on présente de ce pays ?
MW : J’ai eu des doutes à ce niveau. Je pense que le Rwanda a reçu beaucoup de soutiens internationaux après le génocide. Ces fonds ont été bien dépensés. Mais ce n’est pas le miracle de développement que Kagame veut faire croire à tout le monde. On parle aussi beaucoup d’investissements privés. Des hommes d’affaires, qui investissent au Rwanda, mais ce n’est pas tellement impressionnant. Il y a beaucoup de propagandes. Le gouvernement rwandais est très doué dans le secteur des relations publiques. Il a réussi à construire une image d’un pays propre, efficace et bien géré.
SA : Vous n’y croyiez pas ?
MW : Je pense qu’il y a beaucoup d’exagération là-dessus. On a tendance à oublier les faits importants, notamment le fait Kagame se fait réélire avec 99,8%. C’est ridicule. Il n’y a personne qui y croit. Mais en Occident, on oublie cela ains que le fait l’opposition est réprimée, la cheffe de l’opposition a passé 8 ans en prison, les journalistes sont tués, disparaissent, fuient en exil… On oublie tout ça. Et on parle d’un miracle de développement, c’est complètement bizarre.
SA : Vous avez l’impression que l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, aurait été mené par le FPR. Comment réagissez-vous au fait qu’il y a eu un non-lieu dans ce dossier ?
MW : Au début et comme j’ai lu des récits des historiens qui connaissaient le Rwanda mieux, je me disais probablement que ce sont des extrémistes hutus qui l’avaient fait. Après, j’ai vu que plusieurs anciens membres du FPR, qui donnent des témoignages pour dire que : « c’est nous avons attaqué l’avion. On voulait mettre fin à la guerre et c’était le moyen de le faire ». Et pendant que je faisais mes recherches et parlait avec des anciens dirigeants du FPR, qui sont en exil, ils disaient ouvertement que c’est nous qui l’avons fait. Je ne fais pas une enquête policière, mais je trouve bizarre le fait qu’on a déclaré un non-lieu. Je pense que c’était un processus très politisé en France dès le début. Et qu’il faut rouvrir l’enquête.
Entretien réalisé par Trésor Mutombo