Les propagandistes et les escrocs exploitent la xénophobie et la colère suscitée par les infrastructures défaillantes pour déclencher une vague de désinformation à l’approche des élections les plus contestées en Afrique du Sud depuis 1994, préviennent les experts.
Le Congrès national africain (ANC), au pouvoir, risque de perdre sa majorité absolue lors du scrutin du 29 mai, dans un contexte de chômage croissant, de xénophobie croissante, de coupures d’électricité prolongées et d’allégations de corruption endémique.
L’AFP Fact Check a découvert que les réseaux sociaux étaient inondés de fausses allégations liées à ces élections aux enjeux élevés. Cela allait des images générées par l’IA montrant le mauvais état des routes dans la ville du Cap, dirigée par l’opposition, aux partis accusés de fournir de faux papiers aux étrangers illégaux.
« Il est très préoccupant de constater que les niveaux de discours xénophobes ont augmenté ces derniers mois à mesure que les élections se rapprochent », a déclaré Dale McKinley de Kopanang Africa Against Xenophobia (KAAX), qui fait partie d’un réseau international de lutte contre le racisme.
Les thèmes dominants incluent les étrangers qui voleraient les emplois des locaux, mettraient à rude épreuve les systèmes de santé et seraient responsables d’une criminalité endémique.
« Ce sont des mensonges et de la désinformation complets, mais ils se propagent et les gens commencent alors à penser qu’ils sont vrais et tous les stéréotypes deviennent éclairés dans ce contexte », a ajouté McKinley.
«Les immigrants comme pions»
Malgré l’un des taux de chômage les plus élevés au monde, l’Afrique du Sud attire de nombreux migrants économiques venus d’ailleurs sur le continent. Cet afflux, associé à des perspectives économiques sombres, a conduit à des explosions sporadiques de violence anti-immigrés ces dernières années.
Les candidats aux élections ont encore attisé les flammes de la haine et de la désinformation en ligne en exploitant le sentiment xénophobe et en accusant les étrangers d’être responsables des problèmes du pays.
« Les candidats aux prochaines élections générales en Afrique du Sud ont fait des boucs émissaires et diabolisé les ressortissants étrangers, risquant d’alimenter la violence xénophobe », a averti Human Rights Watch début mai. « Les politiciens utilisent les immigrants comme des pions, sans se soucier de leur sécurité, pour tenter de gagner des voix »
Des groupes de droite plus petits comme ActionSA ont à plusieurs reprises promu un nombre faux – et largement exagéré – de migrants illégaux en Afrique du Sud, alors qu’ils cherchaient à saper le gouvernement dirigé par l’ANC.
Pendant ce temps, des partisans en ligne du groupe xénophobe Operation Dudula ont affirmé que le parti d’opposition, les Combattants de la liberté économique (EFF), avait créé de faux papiers d’identité pour les migrants sans papiers afin de gagner plus d’électeurs. Mais les photos utilisées comme preuve provenaient d’une descente de police sans rapport avec cette affaire.
L’AFP Fact Check a surveillé de nombreux autres utilisateurs de réseaux sociaux diffusant des contenus xénophobes, notamment un compte X appelé « Put South Africa First », dont le fil regorge de messages ciblant les ressortissants zimbabwéens.
« L’expression d’un tel sentiment peut alimenter l’animosité et potentiellement conduire à des différends sur les résultats des élections, en particulier dans une course très disputée comme celle en cours en Afrique du Sud », a déclaré Cayley Clifford, rédacteur en chef adjoint de l’organisation de vérification des faits Africa Check.
Sondage «piloté par le numérique»
La mauvaise prestation des services publics en Afrique du Sud est un autre problème brûlant pour bon nombre des plus de 27 millions d’électeurs inscrits. L’économie la plus industrialisée du continent est aux prises avec des infrastructures en déclin, depuis les chemins de fer et les routes jusqu’aux ports et centrales électriques.
En conséquence, les 62 millions d’habitants du pays sont régulièrement confrontés à des coupures d’eau et à des coupures d’électricité prolongées. Cette crise, aggravée par une série de scandales de corruption successifs, est devenue une épine dans le pied de l’ANC, au pouvoir depuis l’avènement de la démocratie qui a mis fin au régime de la minorité blanche en 1994.
La crise a également alimenté la désinformation, les utilisateurs des médias sociaux cherchant à renforcer ou à discréditer le bilan du parti au pouvoir.
« Ce type de désinformation induit le public en erreur et crée une fausse perception des réalisations d’un homme politique ou d’un parti », a déclaré Clifford d’Africa Check.
L’AFP Fact Check a démenti une publication sur Facebook partagée des milliers de fois accusant faussement l’ANC de ne pas avoir mené à bien un projet de toilettes publiques.
Une autre photo circulant sur les plateformes aurait montré d’immenses nids-de-poule au Cap, gouverné par l’Alliance démocratique (DA), un parti d’opposition.
L’analyse a montré que l’image avait été créée avec un outil d’intelligence artificielle.
Pour l’analyste politique William Gumede, « l’exagération des réalisations et la sous-estimation de la complexité des problèmes » jouent un rôle clé dans ce qu’il a qualifié d’élections les plus « numériques » d’Afrique du Sud.
« Il y avait autrefois des forums et des débats où l’on discutait des politiques, cela n’arrive plus qu’à un niveau très restreint. C’est maintenant remplacé par la sphère numérique », a-t-il déclaré à l’AFP. « La désinformation numérique devient factuelle dans les débats traditionnels, dans l’élaboration des politiques, dans les déclarations des politiciens et dans les manifestes ».
AFP/Sahutiafrica