Des slogans tels que « marche révolutionnaire » et « lutte contre l’impérialisme » résonnaient de manière incongrue autour des imposantes arches en céramique de la plus grande mosquée de Niamey, tandis que les caméras de télévision tournaient.
L’imam salafiste Souleymane Maiga Mounkaila s’est joint aux soufis et aux militants civiques dans une « prière de soutien » aux nouveaux dirigeants militaires du Niger le premier vendredi du mois.
Qu’elle se déroule dans la grande mosquée de la capitale de ce pays d’Afrique de l’Ouest « n’est pas un hasard », disent-ils. Tout comme sur les réseaux sociaux et dans la rue, ce haut lieu de la vie religieuse nigérienne est au centre des efforts visant à mobiliser les soutiens aux officiers de l’armée qui ont renversé le président Mohamed Bazoum en juillet.
Sur la place de la Résistance de la capitale, des milliers de personnes s’étaient rassemblées depuis des mois pour exiger que les troupes françaises quittent le sol nigérien.
Les prédicateurs côtoyaient les musiciens et les militants panafricanistes qui attisent les foules avec des discours vantant la gloire des officiers de l’armée au pouvoir qu’ils assimilent à des libérateurs. « Quand ce sont les politiques qui parlent, un musulman exprime des réserves. Mais quand on lui dit que c’est le prophète qui parle… il veut aller au combat », a déclaré Mounkaila à l’AFP.
Au Niger, comme au Burkina Faso et au Mali, qui ont également connu des coups d’État militaires depuis 2020, les chefs religieux et notamment les salafistes sont apparus comme les alliés inattendus des nouvelles autorités militaires.
«Plus d’espace pour les musulmans»
En gagnant le soutien des chefs religieux, les régimes largement populaires du Niger et du Burkina bénéficient d’un soutien « mieux structuré » et « plus bruyant » que d’autres soutiens ont tendance à l’être, a déclaré Ibrahim Yahaya Ibrahim, de l’International Crisis Group.
L’imam influent du Mali, Mahmoud Dicko, pourrait bien être l’un des critiques les plus virulents de la junte au pouvoir. Mais il a commencé par soutenir le colonel en chef de la junte, Assimi Goita.
A Ouagadougou, la capitale du Burkina, le jeune capitaine Ibrahim Traoré est le premier chef d’État musulman du pays depuis 42 ans, dans un pays où environ 60 pour cent de la population est musulmane.
Son arrivée au pouvoir en 2022 a donné un coup de pouce au Burkina Faso aux adeptes d’un islam puriste appelé wahhabisme, répandu en Arabie saoudite et principalement représenté par le Mouvement sunnite (MSBF) de la nation africaine.
De tels mouvements gagnent du terrain « autour de l’idée selon laquelle les chrétiens ont monopolisé la gestion politique du pays depuis l’indépendance », a déclaré Yahaya Ibrahim. Ils tentent « d’influencer le cours de la transition (retour à un régime civil) en donnant plus d’espace aux musulmans », a-t-il ajouté.
«Retour à l’ordre moral»
Mohammad Ishaq Kindo, imam formé en Saoudite et figure spirituelle de premier plan de MSBF, utilise ses sermons pour appeler à soutenir les efforts visant à repousser les djihadistes implantés dans de grandes parties du pays. Les ministres viennent régulièrement prier dans sa mosquée lors de fêtes telles que la Tabaski, le terme local pour l’Aïd el-Adha. Dans la capitale malienne, Bamako, le rôle politique des salafistes a été renforcé par l’imam Dicko.
Il a été l’un des principaux instigateurs des manifestations qui ont contribué à la chute de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita en 2020. Si les liens se sont desserrés au Mali, au Burkina les fidèles sont toujours aux avant-postes des manifestations de soutien à la transition militaire.
Les slogans anti-français en vogue dans divers pays de la région, ainsi que les appels à des liens plus étroits avec la Russie dont ils brandissent les drapeaux, sont courants.
L’anthropologue franco-nigérien Jean-Pierre Olivier de Sardan a déclaré que la rhétorique anti-occidentale n’était pas nouvelle, motivée au cours des deux dernières décennies par « l’échec des politiques de développement occidentales et la corruption des élites ». Les régimes démocratiques des années 1990, soutenus par la France, ancienne puissance coloniale, « ont provoqué des déceptions majeures », a-t-il déclaré à l’AFP.
Face à cela, « une certaine forme de retour à l’ordre moral se présente comme la seule alternative », a-t-il déclaré.
«La popularité de la junte à cheval»
Le principe de laïcité, les droits des femmes et des homosexuels ont également suscité des débats difficiles, révélant de profonds schismes entre une partie de l’élite et une partie de la population.
« L’Occident a dicté à nos dirigeants ses volontés sur les plans politique, sécuritaire et culturel, qui sont diamétralement opposées aux valeurs de l’Islam et de nos cultures », a déclaré Mounkaila, l’imam.
Certains des préceptes religieux les plus stricts ont été édictés par les autorités maliennes, notamment l’interdiction des bars à chicha pour réprimer la consommation de narguilé. Les prières du vendredi dans la rue et le port du voile sont devenus la norme au Niger ces dernières décennies.
Des écoles coraniques de quartier ont également vu le jour. Depuis le coup d’État qui a inauguré le général Abdourahamane Tiani, certains chefs religieux vont jusqu’à prêcher à la télévision ou dans la rue vêtus de treillis militaires.
« La religion représente un capital social important », a déclaré Abdoulaye Sounaye, chercheur au Leibniz-Zentrum Moderner Orient de Berlin. « Le régime tente de légitimer son pouvoir en faisant un clin d’œil à ces prédicateurs », a-t-il ajouté.
Les imams, quant à eux, « surfent sur la popularité de la junte » et sur les déclarations visant à restaurer la souveraineté à travers une forme « d’entrepreneuriat religieux » souvent opportuniste, a expliqué Sounaye.
Malgré leur influence croissante dans les sociétés sahéliennes, le poids politique des mouvements religieux reste cependant pour l’instant limité. Et les chefs militaires maintiennent une emprise ferme, les partis politiques au Niger, au Burkina et au Mali étant suspendus. La nouvelle constitution du Mali, adoptée en juillet, a conservé le principe de laïcité de l’État, ignorant les revendications des fondamentalistes.
AFP/Sahutiafrica