Sur une route de campagne au Soudan ravagé par les combats, le bourdonnement d’un véhicule qui passe glace le sang des villageois, craignant l’arrivée de paramilitaires qui pillent leur chemin vers le sud dans leur guerre contre l’armée.
« Ils ont créé un état de panique totale », a déclaré Rabab, qui vit dans un village au nord de Wad Madani, la capitale de l’État d’Al-Jazira et dernier site de violents combats entre l’armée et les paramilitaires Forces de soutien rapide (RSF).
Comme d’autres personnes avec lesquelles l’AFP s’est entretenue, elle a demandé à être identifiée par son prénom uniquement par crainte de représailles de la part des combattants qui ont systématiquement pris pour cible les civils pendant plus de huit mois de guerre.
Samedi, au moins huit personnes ont été tuées par des combattants de RSF dans un village de l’Etat d’Al-Jazira, ont déclaré à l’AFP des témoins, affirmant qu’elles avaient été abattues après avoir tenté d’arrêter leurs pillages.
Juste au sud de Khartoum, plus d’un demi-million de personnes ont trouvé refuge à Al-Jazira après que les combats ont submergé la capitale soudanaise. Ce mois-ci, cependant, les paramilitaires se sont enfoncés plus profondément dans l’État et ont détruit l’un des rares sanctuaires restants du pays, forçant plus de 300 000 personnes à fuir une fois de plus, ont indiqué les Nations Unies.
Ceux qui restent, qui ne peuvent ou ne veulent pas partir, se sont retrouvés dans ce que la Croix-Rouge a appelé « un autre piège mortel ».
Depuis le 15 avril, le Soudan est en proie à une guerre opposant le chef de l’armée Abdel Fattah al-Burhan à son ancien adjoint, le commandant de RSF Mohamed Hamdan Daglo. Fin novembre, au moins 12 190 personnes avaient été tuées dans les combats, selon une estimation prudente du projet Armed Conflict and Location Event Data.
Selon les Nations Unies, plus de sept millions de personnes ont été déplacées à cause de la guerre. Au moins 85 000 personnes ont trouvé refuge à Wad Madani. Dans le village d’Aykura, à 30 kilomètres au nord de Wad Madani, un habitant a déclaré par téléphone à l’AFP que « les RSF ont tout pris : les voitures, les camions, les tracteurs ». Lui aussi a souligné la nécessité de conserver l’anonymat pour se protéger des violences paramilitaires.
«En guerre avec nous ?»
Avant la guerre, Al-Jazira était un pôle agricole clé. Cependant, à mesure que les RSF se sont déplacées vers le sud depuis Khartoum, elles se sont emparées de vastes étendues de terres agricoles et ont terrorisé les agriculteurs qui les cultivaient.
Samedi, des combattants des RSF ont été aperçus au nord de Sennar, à environ 140 kilomètres au sud de Wad Madani, selon des témoins. Les RSF sont devenues connues pour leurs pillages de biens, les civils qui ont fui regardant avec horreur les combattants publier des vidéos d’eux-mêmes sur les réseaux sociaux faisant des virées dans des voitures volées et vandalisant des maisons.
Au marché d’Hasaheisa, une ville située à 50 kilomètres au nord de Wad Madani, un correspondant de l’AFP a vu les portes des magasins grandes ouvertes avec les marchandises que les pilleurs n’avaient pas voulus éparpillées sur le sol. Omar Hussein, 42 ans, se tenait debout parmi les décombres de son entreprise familiale.
Tous les magasins et véhicules qu’ils possédaient ont été détruits. « Les RSF sont-elles en guerre contre l’armée ou contre nous ? », a-t-il dit. Samedi, Abdin, un autre habitant de Hasaheisa, a trouvé à sa porte « sept hommes en uniforme des RSF portant des mitrailleuses ».
Ils l’ont interrogé sur la voiture qui se trouvait dans son allée, « et l’ont prise sous la menace d’une arme ». Lorsque Rabab a été volée, elle n’a pas reçu la courtoisie d’un coup à la porte. « Ils ont tiré avec leurs armes devant la maison, ont fait irruption et n’ont laissé aucune pièce sans fouille », a-t-elle déclaré.
Libre cours
Les invasions de domicile sont une caractéristique des prises de contrôle par RSF, tout comme les agressions sexuelles. Selon l’Unité soudanaise de lutte contre la violence à l’égard des femmes, la plupart des violences sexuelles se produisent « à l’intérieur des maisons, lorsque des hommes armés, que les survivants décrivent comme portant des uniformes de RSF, entrent par effraction et agressent les femmes et les filles ».
Les RSF et l’armée ont été accusées de toute une série de violations systématiques, notamment des bombardements aveugles de quartiers résidentiels, des détentions arbitraires de civils et des actes de torture.
À Tambul, à mi-chemin entre Khartoum et Wad Madani, des témoins ont rapporté que des membres de RSF se sont déchaînés dans l’un des principaux marchés de l’État, tirant en l’air au hasard. Et beaucoup de ceux qui ont tenté de fuir l’assaut n’y sont pas parvenus.
Des militants, qui risquent leur vie pour documenter ces horreurs, ont déclaré que les RSF avaient installé des points de contrôle dans tout l’État, arrêtant les civils qui tentaient de fuir et leur ordonnant de rebrousser chemin.
Trois jours après le début de l’assaut des RSF contre Wad Madani, l’armée a annoncé avoir ouvert une enquête sur « le retrait des forces de leurs positions » dans la ville. Burhan a prévenu que toute « personne négligente et complaisante » serait tenue responsable une fois que les RSF – accusées d’avoir commis des atrocités dans la guerre du Darfour où elles ont combattu au nom de l’armée – auraient libre cours.
AFP/Sahutiafrica