Processus électoral, clash entre le chef de l’État et l’Église catholique, stratégie de l’opposition, rôle du pouvoir et le peuple dans tout ça… Entretien du professeur Bob Kabamba, analyste politique spécialiste de la RDC, à Sahutiafrica.
Dimanche 25 juin. Dans la province du Kasaï orientale. Le président Félix Tshisekedi s’en prenait à l’Église catholique, fustigeant une certaine dérive dangereuse, surtout dans une année électorale. Selon lui, l’église doit demeurer au milieu du village et au milieu des Congolais. Quelques jours après, dans un Magazine français, paraissait une interview de l’archevêque de Lubumbashi, Fulgence Muteba, dans laquelle il a demandé au président congolais de se libérer des pasteurs et des charlatans assoiffés d’argent. Tous les ingrédients étaient réunis pour un clash. Entre-temps, le climat politique se crispe. La tension ne faiblit pas entre le pouvoir et l’opposition qui dénonce un processus électoral opaque. Pour le professeur Bob Kabamba, analyste politique congolais, la RDC est en train d’aller vers un chaos. Entretien.
Sahutiafrica : Est-ce que ce clash avait-il lieu d’être ? Et, jusqu’où peut-il aller ?
Bob Kabamba : Depuis que le Congo existe, les rapports entre l’Église catholique et le pouvoir sont marqués par des haut et des bas. En fait, ce qu’il faut savoir, ce que l’Église catholique constitue un contrepoids majeur dans l’exercice du pouvoir au Congo. Et, quand ce contrepoids ne va pas dans le sens voulu par le pouvoir en place, cela crée des tensions entre les deux parties. C’est dans ce contexte-là qu’il faut placer les dernières déclarations du Président Tshisekedi contre l’Église catholique. L’Église catholique, par contre, fustige ce que beaucoup dénoncent, notamment l’entourage du chef de l’État, qui ne l’aide pas malheureusement et dont les actions ne profitent pas nécessairement au salut des Congolais. L’église tout comme la société civile ne s’exprime que comme contre-pouvoir, et je pense qu’il ne faut pas en faire tout un plat.
SA : Entre-temps, l’opposition de son côté peaufine ses stratégies, affute ses armes. Multiplie marches et contestations, boycotts et revendications. A quel jeu joue-t-elle, selon vous ?
BK : Alors, s’agissant de l’opposition actuellement, sachez qu’il y a deux groupes. Le premier est constitué de l’ancien président Kabila et son Front Commun pour le Congo (FCC), qui ont adopté une stratégie très claire, celle de ne pas participer au processus électoral tel qu’il est en train de se dérouler. Puis, il y a une autre opposition, qui avait décidé d’accompagner le processus. Alors entre ces deux, il y a bien entendu des prises de position distinctes. Mais, au fur et à mesure que le processus avance, on se rend compte qu’il est mal entamé, comme diraient plusieurs observateurs. Et, que l’on en est en train d’aller droit vers un chaos. Et, là, les positions se radicalisent. C’est le cas notamment de Martin Fayulu, qui n’est pas d’accord avec la manière, dont les choses se déroulent. Il exige désormais que ces préoccupations rencontrent des réponses favorables, au cas contraire, il n’y participerait pas. Une position qui semble petit à petit rejoindre celle de Joseph Kabila.
SA : Joseph Kabila, puisque vous parlez de lui. Depuis quelques semaines, on annonce son retour dans l’arène. Qu’est-ce que son retour peut changer ?
BK : La position qu’il avait prise dès le départ de ne pas accompagner le processus électoral, a été minimisée par beaucoup de parties prenantes au processus. Mais, progressivement, on a remarqué que sa prise de position commence à attirer et obtient une espèce d’adhésion populaire pour dire que ce processus, dans sa configuration actuelle, va être chaotique, accompagné des fraudes et des violences. À partir de là, la prise de parole prochaine du président Kabila va s’inscrire dans l’ordre de la consolidation de sa position qui attire de plus en plus et de rester véritablement le leader de cette option de ne pas accompagner le processus électoral pour pouvoir le décrier. Sa position va être : « je ne participe pas et donc si je ne participe pas, j’ai la mesure et la possibilité de pouvoir contester clairement ». Il va tenter de conforter sa position.
SA : Le pouvoir, quelle marge de manœuvre, que faire pour décrisper la situation ?
BK : Malheureusement, au fur à mesure que les jours passent, les marges de manœuvres du pouvoir se réduisent et l’on assiste généralement à ce genre de phonèmes partout sur le continent à l’approche des élections. Et, souvent, quand les possibilités de pouvoir décanter la situation s’amenuisent, ce qu’il y a de ce fait comme conséquence, ce que vous n’avez pas beaucoup de choix et comme vous n’avez plus beaucoup de choix, alors vous maintenez envers et contre toute votre position. Cela conduit droit dans le mur et c’est ce qui est en train de se passer malheureusement, c’est-à-dire qu’il est un peu tard pour le pouvoir de pouvoir réagir et corriger les failles. S’il accepte que le processus est mal engagé, cela jouera en sa défaveur, ce serait se contredire et avouer son échec. Généralement, le pouvoir, dans une position telle qu’il est au Congo, ne peut jamais l’admettre. Nous allons droit vers une confrontation, d’une part, entre ce que le pouvoir veut, et d’autre part, ce que veulent les autres parties prenantes, notamment l’opposition, la société civile, l’Église catholique, mais aussi la région.
SA : Et alors le peuple ?
BK : Dans ce genre de dynamique, généralement, il y a toujours la population, qui devient la première victime si la violence éclate. De ce fait, je pense qu’il n’y a pas mille et une choses qu’elle puisse faire, la seule chose à faire c’est de pouvoir s’assumer. Le pouvoir vient du peuple, c’est à lui de se décider sur ce qu’elle veut comme avenir, ce qu’elle veut comme schéma pour la paix et sa prospérité.
SA : se dirige-t-on vers quel scénario, selon vous ?
BK : Il y a toute une série de scénarios qui circulent un peu partout. Il y a par exemple la société civile, les mouvements tels que la Lucha, qui disent clairement que s’il y a transition, ça va signifier que le pouvoir actuel a échoué et donc ça va être une transition sans le président actuel, qui lui aussi aura échoué. Alors à ce moment-là, on cherchera quelqu’un d’autre, qui puisse faciliter l’organisation de bonnes élections. Ça, c’est déjà un scénario. Mais, il y en a d’autres comme le dialogue et autres… mais lorsque vous suivez les propositions des uns et des autres, on se rend bien compte que même cette position de dialogue devient de plus en plus mince, à cause du fait que les prises de position se radicalisent. Par ailleurs, il ne faut pas oublier le risque de violence, notamment au niveau des mouvements rebelles et autres groupes armés, qui contrôlent des portions considérables du territoire et qui ne vont pas rendre les choses faciles. En outre, il y a aussi le risque de la violence communautaire qui peut éclater en période électorale sur base des relents tribaux et ethniques. Tout ça est à prendre en compte.
SA : La communauté internationale en arbitre ?
BK : Elle est déjà mobilisée avec la Monusco et les forces à l’est, mais également elle ne cesse de tirer la sonnette d’alarme sur l’enrôlement, la question du fichier électoral… elle a déjà émis plusieurs signaux qui apparemment n’ont pas été pris en compte par le pouvoir de Kinshasa. Elle va encore se mobiliser encore une fois, comme souvent quand il s’agit du Congo. Mais, la grande question reste qu’elle va s’engager pour quel scénario ? Le dialogue, la transition ou le statu quo que semble prôner le pouvoir.
Entretien réalisé par Dinho Kazadi