RDC : après le passage des Casques bleus, des enfants au teint clair

Avec son teint clair, Chance, 16 ans, se distingue des autres élèves de son école, dans l’est de la République démocratique du Congo. Elle est un des enfants congolais nés de Casques bleus de la force de l’ONU présente dans le pays depuis plus de vingt ans.

« J’ai eu une relation en 2006 avec un Uruguayen que j’aimais beaucoup… j’étais enceinte de deux mois quand il a quitté la RDC, sans me dire au revoir », raconte sa mère, Faida, 45 ans.

A l’époque, Faida était femme de ménage dans un des deux camps de la Monuc (Mission de l’ONU en RDC), devenue Monusco en 2010, à Kavumu, à 30 km au nord de Bukavu, le chef-lieu du Sud-Kivu, une des provinces congolaises en proie aux violences de groupes armés.

L’AFP a rencontré à Kavumu quatre femmes assurant avoir eu des enfants avec les Casques bleus, une situation reconnue, qui a conduit les Nations unies à instaurer en 2012 un code de « conduite déontologique des travailleurs » et à assister les familles concernées, avec entre autres une prise en charge de frais de scolarité des enfants.

Ces femmes ne font pas état de violences, mais certaines avaient entre 14 et 15 ans quand elles ont eu des relations sexuelles avec ces soldats, en échange d’une promesse de mariage, d’argent ou de petits cadeaux.

Les « intermédiaires », sortes de rabatteurs, étaient souvent des jeunes garçons qui venaient « rôder autour du camp » et faisaient office de garçons de courses pour les militaires, dont ils finissaient par maîtriser la langue, explique un ancien interprète de la Monusco, sous couvert d’anonymat.

Je manque de réponse

« Je n’ai pas de mari, les hommes ne veulent plus de moi, parce que j’ai mis au monde avec un contingent de la Monusco, un Sud-Africain », explique Masika, 29 ans aujourd’hui. « C’était un beau gars, un géant… »

Elle avait alors 15 ans et vendait des arachides à côté de la boutique de son oncle, près du camp militaire « Adi-Kivu ». Le soldat lui « a fait la cour pendant six mois », lui a donné « un peu d’argent ». « Je refusais, j’avais peur, mais finalement j’ai cédé…», dit-elle.

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Quand Masika s’est rendu compte qu’elle était enceinte, le Casque bleu sud-africain « avait déjà quitté le Congo et son numéro ne passait plus ». Elle a donné naissance à une fille, Catherine, qui a maintenant 14 ans et est scolarisée à Kavumu.

La Monusco « paie les frais scolaires et achète les fournitures. Catherine est noire comme les autres enfants du quartier et s’adapte facilement ». Le seul problème, souffle sa mère, « est que souvent elle me pose la question de savoir où est son père. Et je manque de réponse… »

Sifa, 27 ans, dit elle aussi avoir été « courtisée » par un Casque bleu sud-africain, dont elle ne connaît pas le nom, alors qu’elle n’avait pas encore 15 ans.

Elle travaillait dans un petit restaurant à l’aéroport de Kavumu tout en suivant ses études, qu’elle a dû abandonner lorsqu’elle est tombée enceinte. Sa fille, Grâce, « n’étudie pas ». Sifa n’a pas fait à temps les démarches nécessaires, « on ne m’a pas mise sur la liste des bénéficiaires », regrette-t-elle.

Bora, elle, a eu deux enfants, une fille et un garçon, avec deux Casques bleus sud-africains. L’un était cuisinier, l’autre ingénieur, s’occupant de l’eau au camp Adi-Kivu. Elle n’a plus de contact avec aucun des deux.

Le père de sa fille Annie, 17 ans aujourd’hui, lui avait pourtant dit qu’il l’emmènerait avec lui en Afrique du Sud. « Il avait même laissé l’argent pour mon passeport à une voisine, qui est maintenant morte et avait bouffé l’argent », raconte Bora. Son autre « enfant Monusco », Styve, a 14 ans. Les deux adolescents étudient, parce qu’ils sont pris en charge par la Monusco.

Soutien et assistance

« Nous avons identifié au sein de notre organisation 11 enfants, dont les mères déclarent qu’ils sont nés au niveau de Kavumu de Casques bleus de différentes nationalités », explique Zawadi Bazilyane qui, à la tête d’une ONG de femmes, fait le lien entre la Monusco et la population dans ce dossier délicat. Deux sont morts, il en reste neuf, tous adolescents.

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« Nous avons constitué difficilement les dossiers, car souvent ces femmes n’ont pas les vraies identités des pères de leurs enfants », précise-t-elle. Des tests ADN s’avèrent donc impossibles ou trop compliqués à réaliser. « Mais nous avons recueilli des témoignages, de l’entourage, des chefs de villages… », ajoute Maman Zawadi.

La Monusco paie « les frais et les kits scolaires », tandis que les mères apprennent des métiers, comme la vannerie ou la couture, « pour leur réinsertion sociale ». Certaines reçoivent des chèvres « pour le petit élevage », détaille-t-elle.

Interrogée, la Monusco dit « s’assurer que toutes les allégations d’exploitation et d’abus sexuels » visant des Casques bleus « sont traitées rapidement ». Il s’agit notamment de « veiller à ce que les victimes et leurs enfants reçoivent un soutien et une assistance appropriés », a-t-elle indiqué dans un texte transmis à l’AFP.

Depuis 2013, selon la mission onusienne, aucun cas n’a été signalé à Kavumu et dans les villages voisins contre des Casques bleus. « Nous pensons que cela est dû à la collaboration » entre la Monusco d’une part, les ONG et « réseaux communautaires » œuvrant à la sensibilisation contre les violences sexuelles d’autre part.

Selon la mission onusienne, au total en RDC, au moins 158 femmes ont bénéficié de projets financés par l’ONU et 63 enfants ont reçu « une aide à l’éducation ».

Faida, qui avait déjà six enfants quand elle a eu Chance avec un Casque bleu uruguayen, ne se plaint pas, la Monusco paie son école. Mais elle se dit néanmoins inquiète pour l’avenir de sa fille au teint clair et aux cheveux lisses, qui « ne s’adapte pas à la vie au village… ».

AFP/Sahutiafrica

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