Proposition de changer la constitution, question de réformes de l’appareil judiciaire congolais, attentes sur les états généraux de la justice… Placide Mabaka Mukwabuhika, docteur en sciences juridiques et analyste politique congolais, répond aux questions de Sahutiafrica.
Faut-il réviser la constitution ou non ? En RDC, ce débat divise la classe politique. C’est depuis que le président Tshisekedi a, lors d’un meeting à Kisangani, dans le nord-est de la RDC, soulevé cette question. Pour lui, la constitution actuelle n’est pas adaptée aux réalités congolaises. Mais l’opposition a rué dans les placards. Elle s’oppose à toute tentative de réviser la loi fondamentale. « Une nouvelle Constitution pour un Congo restauré ». C’est le titre de l’ouvrage de 150 pages, publié par Placide Mabaka aux éditions Espérance. L’auteur prône le changement de la constitution. Même s’il nuance, cette démarche doit être citoyenne et ne devra pas venir des entreprises politiques. M. Mabaka prévoit de créer un collectif pour la IVe République pour réfléchir et sensibiliser sur cette question. Entretien.
Sahutiafrica : Dans votre ouvrage « Une nouvelle constitution pour un Congo restauré », vous évoquez la question du changement de la constitution. Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle autour de ce débat ?
Placide Mabaka : Quand on parle de la justice, je pense à notre système constitutionnel qui est malade. Ce n’est pas que la justice. Elle n’est que la partie émergée de ce système. Il faut tout restaurer. C’est pour cette raison que je parle d’un Congo restauré. Il faut une nouvelle constitution plutôt que de réviser l’actuelle, qui n’est que le paroxysme de la maladie constitutionnelle dont souffre la justice. Mais il ne faudrait pas que ce changement vienne des cibles politiques. Ce que je propose, c’est une démarche citoyenne. Elle va résoudre non pas le problème posé par la constitution de 2005, mais plutôt celui d’instabilité constitutionnelle que nous vivons depuis le 30 juin 1960.
SA : Aujourd’hui, cette question n’est-elle pas porteuse de germes de conflit ?
PM : Le président de la République a lancé une idée, mais il ne lui a pas donné une forme ou un contenu. Le président de la République, dans le message qu’il a lancé à Kisangani, ne va pas dans le sens de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) qui propose de réviser la constitution, de faire passer la durée du mandat présidentiel de 5 à 7 ans et applicable immédiatement. C’est irresponsable de réfléchir de cette façon. D’autant plus, c’est penser que le président de la République souhaite briguer un troisième mandat. Ce que personne ne va accepter. Le président de la République dit simplement, comme je le dis depuis plusieurs années, que cette constitution, que j’appelle la constitution des belligérants, n’a pas été conçue par des Congolais et pour les Congolais. Quand bien même, elle a été adoptée lors d’un référendum. Le peuple n’avait pas donné mandat à ceux qui avaient adopté cette constitution. Dans le contexte de l’époque, il n’y avait pas de choix. C’est la communauté internationale, notamment le fameux accord de Sun City, qui est à la base de tout ça. C’est une constitution qui n’a pas été bien réfléchie et bien discutée. Le président a raison de dire qu’il faut y réfléchir, qu’on mette en place cette commission pour lancer les débats pour voir dans quelle mesure, on révise la constitution actuelle.
SA : C’est la question qui suscite le scepticisme de plusieurs ?
PM : Il y a le scepticisme et des soupçons à cause des idées qui ont été lancées par Augustin Kabuya, secrétaire général de l’UDPS, en disant qu’on doit réviser la constitution, parce que le président a seulement trois ans d’exercice de pouvoir. La quatrième année, on commence déjà la campagne pour les élections. C’est un faux argument. Réviser la constitution, pour passer de 5 à 7 ans, ne va pas régler le problème d’adapter la constitution actuelle aux réalités congolaises. Elle va juste résoudre un petit problème qui n’est pas une urgence. Le problème n’est pas là. C’est plutôt de savoir comment on organise l’exercice du pouvoir. Il y a beaucoup de choses qu’il faut régler concomitamment que de penser juste à réviser la durée ou le nombre de mandats.
SA : Depuis le mercredi dernier, les états-généraux de la justice ont été lancés pour restaurer la justice congolaise. Qu’attendre de ces assises ?
PM : J’attends que l’on prenne des résolutions qui conviennent et, surtout, que des sanctions suivent. Que les recommandations qui seront prises soient vraiment appliquées. Ce n’est pas la première fois qu’on ait des états généraux dans notre pays. J’insiste beaucoup sur la question de l’indépendance des acteurs de la justice. Cette indépendance, surtout pour les magistrats, passe par l’amélioration des conditions sociales, mais aussi par l’application de sanctions pour ceux qui vont enfreindre les lois, notamment ceux qui font corrompre pour rendre les décisions non-conformes au droit.
SA : Quel remède pour la justice congolaise ?
PM : Le problème de la justice est global. Il n’est pas simplement séculier. Il faut un bon diagnostic pour prodiguer la thérapie qui convient. Notre justice ne fonctionne pas tout simplement parce qu’il n’y a pas de rigueur. On est dans la complaisance. On a beau discuter, mais tant qu’il n’y aura pas de sanctions effectives pour ceux qui ne respectent pas les règles et une véritable indépendance de la justice. J’entends par là une bonne rémunération, une prise en charge des acteurs de la justice, que ce soit les magistrats ou les avocats. Cette question est liée à beaucoup de choses. Elle est multifactorielle. Ce n’est pas seulement une question de penser qu’il y a la corruption. Il faut qu’il ait une question globale liée au comportement de notre société plutôt qu’autre chose. C’est à notre mentalité et l’on ne peut la changer que par l’application effective des sanctions.
SA : Ces derniers mois, le ministre de la Justice et les magistrats semblent livrer un bras de fer. Ces assises ne tombent-elles pas à pic pour dissiper le malentendu sur les attributions de ces deux piliers de l’appareil judiciaire congolais ?
PM : Le problème est déjà constitutionnel. Depuis la révision de 2011, on a sorti le Parquet des composantes du pouvoir judiciaire. Il y a eu les fameuses propositions de loi de Minaku-Sakata, qui n’ont pas prospéré. On veut soumettre la justice à l’exécutif. D’ailleurs, certains vont un peu dans ce sens pour dire que le ministre de la Justice puisse engager la responsabilité pour sanctionner ou demander des sanctions contre certains magistrats. Ce qui peut être une bonne ou mauvaise chose. Dans le cadre de la séparation des pouvoirs, il y a un risque majeur d’interférences de l’exécutif dans le rendu de décisions de justice. Et que celui qui doit exécuter puisse aussi juger. Cette question doit être aussi examinée dans le cadre de la réflexion globale sur notre système constitutionnel. La justice est au cœur de ce qu’on appelle un Etat de droit.
SA : Certains estiment que « la question de la justice est assez régalienne » pour la laisser aux magistrats, prônant de créer un Conseil national de la justice qui intègre l’exécutif, la société civile et les magistrats. Êtes-vous aussi de cet avis ?
PM : Je crois que c’est un vrai-faux débat. Là où je suis d’accord avec celui qui en a parlé, c’est qu’on peut réduire le nombre de membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Je crois qu’un grand travail a été fait au niveau d’un projet de réformes de la justice, financé par l’Union européenne. On peut s’inspirer de ces travaux. Un Conseil supérieur de la justice, pourquoi pas. Mais ça ne doit pas venir remplacer le CSM ou de l’assister, à part comme l’organe disciplinaire des magistrats. Si l’on veut un Conseil de la justice, c’est pour que ce soit un organe du Conseil du gouvernement. On peut y réfléchir autrement, mais on ne doit pas remplacer le CSM par un Conseil supérieur de justice. Plus on élargit, plus ça va aussi impacter sur l’indépendance de la justice. On devrait plutôt réfléchir à rendre plus efficace le CSM.
Propos recueillis par Trésor Mutombo