Instabilité dans l’est de la RDC, où des groupes armés massacrent des populations, violent des femmes et pillent des minerais, rébellion du M23, tension RDC-Rwanda, velléités expansionnistes du président Kagame… Entretien exclusif du professeur Charles Onana, politologue et spécialiste des questions de la région des Grands Lacs et des conflits armés.
Le 12 avril, le livre « Holocauste au Congo. L’Omerta de la Communauté internationale » du professeur Charles Onana, 59 ans, est paru aux éditions Artilleur. Une présentation de l’ouvrage est faite à Kinshasa à l’occasion.
Dans ce livre, le politologue fait le constat du silence de la communauté internationale face aux massacres perpétrés dans l’est du Congo. vu le nombre des morts, Charles Onana parle carrément « d’holocauste ». Bilan ? Près de dix millions de morts et des centaines de milliers de femmes violées. S’appuyant sur des archives, notamment plusieurs rapports de Nations unies, Charles Onana pointe la responsabilité du président rwandais Kagame. Pour lui, il est le responsable de près de trois décennies de chaos dans cette région. Entre-temps, Kinshasa et Kigali restent sous tension depuis la résurgence de la rébellion du M23. La RDC accuse le Rwanda de l’agresser. Ce que Kigali a toujours nié. Même si les experts onusiens attestent des liens entre l’armée rwandaise et les rebelles du M23. Entretien.
Sahutiafrica : Vous estimez que la Communauté internationale ferme les yeux sur ce qui se passe dans l’est de la RDC ?
Charles Onana : Est-ce que vous pensez que ce qui se passe au Congo depuis 30 ans est normal ? Est-ce que vous considérez que la Communauté internationale est préoccupée pour aider le peuple congolais à faire arrêter les massacres, les viols de plus de 500.000 femmes en RDC, selon le docteur Mukwege. C’est un demi-million de personnes violées et ça continue jusqu’à présent. L’agression du Mouvement du 23 mars (M23) et de tous les groupes armés qui interviennent dans l’est du Congo. Est-ce que vous pensez que c’est tout à fait normal que ça se passe comment ça au moment même où la même Communauté internationale est mobilisée sur l’Ukraine pour empêcher que les Ukrainiens soient massacrés, etc. Vous ne vous rendez pas compte qu’il y a un problème ?
SA : Comment expliquer cette position de la Communauté internationale ?
Ch.O : J’ai constaté qu’il y a une sorte de silence. Et que tout ce que les Congolais vivent, depuis bientôt 30 ans, n’avait pas l’air de préoccuper outre-mesure les gens. D’autant plus qu’il y a des rapports qui sont faits par des experts de l’ONU. Le dernier rapport a été publié en 2010. C’est le rapport Mapping. Après ce rapport, il ne s’est absolument rien passé. On a vu d’ailleurs les gens créés des associations des amis du Rwanda, notamment au sein de l’Union européenne. C’était quasiment le jour de la publication du rapport Mapping. Je ne fais qu’un constat très modeste de constater que le Congo et les millions de populations qui y sont exterminées ne comptent pas. Puisqu’on ne réagit pas. Parce qu’on ne fait Rien, y compris lorsqu’il y a des rapports internationaux sur la table.
SA : Dans ce livre, vous décrivez comment le Front patriotique rwandais (FPR) préparait d’envahir le Zaïre, à l’époque, lors de sa rébellion de 1994. Les récents propos polémiques du président Paul Kagame au Bénin n’illustre-t-il pas ce plan ?
Ch.O : Si vous regardez bien ce que je dis dans le livre, le président Kagame vient de les confirmer. Que la préoccupation fondamentale du Rwanda dans ses actions meurtrières au Congo, ça n’a jamais été ni la poursuite des génocidaires comme il le prétendait, ni les FDLR (Fores démocratiques de libération du Rwanda), ni la sécurité de Banyamulenge, mais plutôt, il réclame des terres. C’est clair !
SA : Vous estimez que le président Kagame est soutenu par des grandes puissances internationales ?
Ch.O : Le président Kagame est soutenu depuis son arrivée au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat militaire et d’un effroyable bain de sang au Rwanda. Et que ce soutien ne s’est jamais arrêté depuis plus de 20 ans. J’apporte tous les éléments pour démontrer cet aspect de choses.
SA : Partant de ces propos du président Kagame qui réclame des terres en RDC, cela peut être la raison qui justifie cette résurgence du M23 ?
Ch.O : Très probablement. Il me semble qu’il a été demandé, à plusieurs occasions, aux autorités congolaises de signer des accords de paix avec le M23 et tous les groupes qui mettent la guerre au Congo, y compris avec le Rwanda. Manifestement, le Rwanda n’a jamais respecté les accords de paix qui ont été signés avec le Congo et tous les accords de paix interdisent la présence de groupes armés, venants du Rwanda ou soutenus par le Rwanda au Congo. Cela n’a jamais cessé. Lorsqu’on écoute cette déclaration du président Kagame, on comprend qu’il fait perdre du temps aux autorités congolaises, en les amenant faire des négociations futiles parce que sa préoccupation essentielle, c’est d’obtenir les terres au Congo.
SA : Donc, il ne faudrait rien attendre du processus de paix de Luanda censé déboucher à une désescalade entre les deux pays ?
Ch.O : Quand vous regardez tous les processus de paix, il en a eu plus d’une dizaine depuis près de 30 ans. Est-ce que la situation du Congo s’est pourtant améliorée ? D’après ce que je constate et tous les observateurs, y compris le président Félix Tshisekedi, lui-même, a dit dernièrement qu’il faut cesser de négocier avec le M23. Si le président congolais arrive à cette conclusion, ce que lui-même a constaté que le Rwanda ne respectait pas ses engagements. Comment on peut demander aux Congolais de respecter leurs engagements et pas les agresseurs du Congo ?
SA : Jusqu’où peut aller cette crise entre Kinshasa et Kigali ?
Ch.O : Il n’y a pas de bras de fer entre Kinshasa et Kigali. Ce n’est pas la bonne formule. Il y a une agression du peuple congolais dans son pays. Il y a une violation de la souveraineté du Congo et il y a des crimes graves. Il y a un holocauste au Congo qui est réalisé depuis près de 30 ans au Congo contre les Congolais chez eux. Les Congolais ne sont pas sortis pour attaquer ou pour agresser ni le Rwanda, ni l’Ouganda ni la Tanzanie depuis 94. On ne comprend pas pourquoi on vient agresser les Congolais, les massacres et les exterminer chez eux. C’est ça la vraie question. Ce n’est pas une question de bras de fer. L’armée congolaise n’est jamais sortie de ses frontières pour attaquer qui conque. Don, il faut constater qu’il y a un problème sur le territoire congolais par les gens, qui n’ont pas le droit d’être sur ce territoire. C’est une question relative au droit international. Le peuple congolais ne demande pas de faveurs. Les Congolais sont chez eux. Ils n’ont pas à être agressés et exterminés chez eux. Ils n’ont fait du mal à personne jusqu’à présent.
SA : Dans votre livre Vérité sur l’opération turquoise, vous rapportez que lorsqu’on a alerté les services de sécurité congolais de ce plan d’invasion du Zaïre par le FPR, cette question a été minimisée. La responsabilité ne revient-elle pas aux Congolais, qui n’avaient pas pris la question au sérieux quand il fallait ?
Ch.O : Je ne peux pas répondre à la place des Congolais. Cette question, il faut la poser aux Congolais. J’ai essayé à mon humble niveau d’examiner tout simplement ce qui se passait par rapport au respect de la souveraineté du Congo, par rapport à la violation du droit international et par rapport au respect et la dignité du peuple congolais. À partir de ce moment, je me suis rendu compte qu’il y avait des violations à tout le niveau. Et que ces violations sont réprimées par le droit international. Je ne comprends pas pourquoi la Communauté internationale ne fait pas respecter ce principe qu’elle veut faire respecter dans la guerre contre l’Ukraine. Je ne comprendrais pas qu’on reproche aux Russes d’occuper le territoire ukrainien ou de menacer d’envahir l’Ukraine, mais dans le même temps, il y a des voisins du Congo qui l’ont non seulement envahi, massacrent, exterminent les populations là-bas et pillent les richesses du Congo. Ce n’est pas de spéculation puisque les nombreux rapports des Nations unies l’attestent, les prouvent, les démontrent… aujourd’hui, il y a suffisamment des preuves pour les constater. Si d’un côté, on fait remarquer qu’il faut respecter le droit international et qu’au Congo, on ne constate pas qu’il y a violation du droit international ou même lorsqu’on constate qu’il y a violation du droit international, il n’y a pas de réponse ou des sanctions appropriées, j’ai comme l’impression que le peuple congolais n’est pas reconnu par la communauté internationale. C’est ce qu’on est obligé de constater et de conclure.
Entretien réalisé par Trésor Mutombo