En RDC, les autorités ont lancé l’opération « Ndobo » pour endiguer le phénomène kuluna, banditisme urbain qui sévit à Kinshasa. Jugés en audiences foraines, certains kuluna, bandits urbains, écopent de la peine de mort. Une question qui divise. Dédé Watchiba, professeur d’Université et analyse politique, examine la question dans une tribune publiée à Sahutiafrica.
Le phénomène kuluna, qui désigne en RDC des bandes de jeunes impliquées dans divers actes de violence urbaine, suscite un débat intense quant aux moyens appropriés pour y faire face. Ce débat, qui nous titille tous, déchaine les passions. D’un côté, certains défendent des mesures musclées visant à restaurer rapidement la sécurité publique. De l’autre, des voix s’élèvent pour dénoncer une approche perçue comme populiste, manquant de respect pour les principes fondamentaux du droit. En parallèle, des initiatives de réinsertion sociale, initiées sous le leadership du feu président Laurent-Désiré Kabila, viennent enrichir ce débat. Cette réflexion explore les principaux enjeux juridiques, sociaux et politiques liés à cette controverse.
- “Kuluna” : Une infraction ou une construction sociologique ?
L’une des premières interrogations porte sur la nature juridique du terme “kuluna”. Contrairement, à une infraction pénale définie par le législateur, le concept de “kuluna” relève davantage d’une construction sociologique. Il décrit des groupes de jeunes commettant des actes divers tels que des extorsions, des coups et blessures, des viols ou des homicides, tous déjà sanctionnés par le Code pénal congolais.
Cette distinction est fondamentale. En droit, le principe nullum crimen, nulla poena sine lege (pas de crime, pas de peine sans loi) exige que toute infraction soit spécifiquement définie pour être poursuivie. En l’absence de dispositions pénales spécifiques consacrant le “kuluna” comme une infraction autonome, le recours à ce terme dans des discours politiques ou juridiques pourrait prêter à confusion.
- La question des sentences et des procédures judiciaires
La réponse de l’État face au phénomène kuluna s’est souvent traduite par des opérations ponctuelles. Si l’on reconnaît la nécessité d’agir rapidement pour protéger les populations, cette urgence ne doit pas se faire au détriment du respect des normes procédurales.
Des initiatives récentes, telles que les audiences foraines et les condamnations rapides, suscitent des inquiétudes quant à leur conformité aux garanties d’un procès équitable. Ces actions, bien que fondées sur des sentences judiciaires, posent la question du respect des droits de la défense et des principes de transparence et de proportionnalité des peines.
- La peine de mort : entre moratoire et réactivation
La peine de mort, souvent évoquée dans le cadre des réponses au phénomène kuluna, ajoute une dimension éminemment polémique. Bien qu’elle reste en vigueur dans l’arsenal juridique congolais, elle avait été placée sous moratoire pendant plusieurs années. La levée récente de ce moratoire pour certains cas, notamment liés aux kulunas, soulève des questions éthiques et juridiques majeures.
Si les partisans de cette mesure y voient un instrument de dissuasion efficace, les opposants rappellent le risque d’erreurs judiciaires, l’irréversibilité de cette peine et sa possible incompatibilité avec les normes internationales des droits humains.
- L’initiative de réinsertion de Kaniama Kasese : une alternative prometteuse
Dans le cadre de la lutte contre le phénomène kuluna, il est important de mentionner une initiative historique et toujours d’actualité : le programme de réinsertion sociale lancé sous le leadership du président Laurent-Désiré Kabila. Ce programme consistait à intégrer des jeunes identifiés comme “kulunas” au sein du Service national à Kaniama Kasese.
L’objectif de cette initiative était clair : transformer ces jeunes, souvent issus de milieux défavorisés, en citoyens productifs en leur offrant une formation professionnelle. À Kaniama Kasese, ils apprennent des métiers tels que l’agriculture, la menuiserie, la maçonnerie et d’autres activités artisanales. Cette approche visait à répondre aux causes profondes du phénomène kuluna, notamment le chômage et l’absence d’opportunités économiques.
Aujourd’hui, ce programme continue d’exister et représente une alternative intéressante à la répression stricte. En combinant discipline, formation et réinsertion, il contribue à réduire la récidive et à offrir une seconde chance à des milliers de jeunes. Cependant, son impact reste limité par des ressources insuffisantes et le besoin de coordination avec d’autres politiques publiques.
- Répression versus prévention : un équilibre délicat
Au-delà des débats strictement juridiques, il est essentiel de questionner l’efficacité des approches purement répressives. Les opérations de grande envergure, comme “Likofi” par le passé ou “Ndobo” aujourd’hui, visent à envoyer un signal fort à l’opinion publique et aux malfaiteurs. Ces mesures peuvent avoir un effet dissuasif à court terme, mais leur impact à long terme reste limité si elles ne s’accompagnent pas de stratégies préventives solides.
La persistance du phénomène kuluna est en grande partie liée à des facteurs structurels tels que la pauvreté, le chômage des jeunes, l’accès limité à l’éducation et l’absence d’opportunités économiques. Une politique durable de lutte contre ce phénomène doit donc s’attaquer à ses racines profondes, tout en combinant répression légale, réhabilitation sociale et programmes de développement. La prospérité doit être équitablement partagée, faute de quoi elle risque de générer des frustrations au sein de la population, pouvant dégénérer en diverses formes de violence.
- Vers une gouvernance pénale scientifique et inclusive
Cette controverse autour de la répression des kulunas met en lumière une tension récurrente entre populisme et rigueur scientifique dans la gouvernance pénale. Une réponse efficace et juste au phénomène ne peut se contenter d’une approche simpliste.
D’un côté, il est nécessaire de restaurer la sécurité et de répondre aux attentes des populations face à des actes de violence inacceptables. De l’autre, il est tout aussi impératif de respecter les principes fondamentaux du droit, qui protègent non seulement les victimes mais aussi les accusés.
Les solutions durables doivent s’appuyer sur des approches multidimensionnelles, alliant réforme judiciaire, renforcement de l’État de droit, prévention sociale, et promotion des opportunités économiques pour les jeunes. Cette démarche, bien que complexe et exigeante, constitue le seul moyen d’assurer une paix durable et une justice équitable en RDC.
Conclusion
Le débat sur la répression du phénomène kuluna illustre les défis auxquels la RDC est confrontée pour concilier sécurité publique, respect des droits humains et réformes structurelles. Plutôt que de céder à des approches populistes ou expéditives, il est temps de privilégier une gouvernance pénale scientifique et inclusive, tout en soutenant des initiatives innovantes comme celle de Kaniama Kasese.
À travers une combinaison d’efforts répressifs, préventifs et réhabilitatifs, il est possible de transformer ce fléau en une opportunité pour reconstruire un tissu social plus solidaire et résilient. Le chemin est long, mais les bases existent pour un changement durable.
Dédé Watchiba, professeur d’Universités et analyse politique