Sénégal : 20 ans après le naufrage, les victimes du Joola se battent encore

Il suffit d’un nom, le Joola, et ses yeux s’allument, sa langue se délie, l’énergie afflue. Nadine Verschatse, Française de 69 ans, se bat depuis le naufrage de ce navire il y a 20 ans, pour sa fille et « tous les autres », contre « le mépris », « l’injustice » et « l’oubli ».

Elle s’installe à la table d’un restaurant de Dakar, sort une pochette verte, en retire une photo. « Regardez, je l’ai toujours avec moi. Il faut mettre des visages sur des noms ». Claire, sa fille, 20 ans, rayonnante. « Là, c’est Guérande, sa copine d’enfance ».

Elles sont jeunes. Elles veulent découvrir le monde. « Pour leur anniversaire, parce qu’elles travaillaient bien, on leur avait offert un voyage ». Ce sera l’Afrique, le Sénégal. L’avion, pour la première fois. Elles ne reviendront pas.

Le 26 septembre 2002, elles embarquent à bord du Joola, le ferry qui relie Ziguinchor, dans le sud du Sénégal, à Dakar. Quelques heures plus tard, le bateau chavire. C’est l’une des plus grandes catastrophes maritimes civiles connues: 1.863 morts et disparus selon un bilan officiel, plus de 2.000 selon les associations de victimes, de 12 nationalités différentes.

Cauchemar

Seules 65 personnes ont survécu. Parmi elles, Léandre Kindy Coly, un Sénégalais de 37 ans à l’époque, se souvient de cette nuit d’horreur, de cette « vision d’apocalypse », de ce cauchemar qui le hante presque toutes les nuits.

Il raconte posément, sans omettre aucun détail. D’abord les scènes de joie sur le bateau. Un groupe qui joue à la belote, les rires, les retrouvailles avec des connaissances, la musique de l’orchestre.

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Bientôt, le vent se lève et la pluie s’abat. Les passagers ferment les hublots. Le bateau s’incline dangereusement… « Et tout a glissé. Les instruments, les musiciens, les gens. L’eau a commencé à rentrer, la lumière s’est éteinte. Il y avait des cris partout ».

Par instinct, Léandre s’agrippe à un homme, trouve le chemin d’une ouverture. Il nage, ôte ses vêtements, perd ses forces. Il croit couler à trois reprises, reste là des heures durant. Il voit la mort. Il résiste.

Guidé par des voix, dans le noir, il rejoint un petit groupe, s’appuie à un objet flottant, un bateau pneumatique qu’ils finiront par ouvrir. Ils y attendront les premières pirogues de pêcheurs, au petit matin, synonymes de vie sauve.

Quand Léandre achève son récit, les larmes aux yeux, Nadine le regarde. Elle a eu l’élégance de prendre une autre table, pour lui laisser dire ses mots. « Nous sommes une grande famille », dit-elle.

Derrière ces destins brisés se cachent tant de questions sans réponse, à commencer par les causes de l’accident, jamais élucidées. Avarie des moteurs, mauvais temps, erreur de pilotage, surcharge ? Un peu de tout, sans doute.

Ce jour-là, le navire transportait officiellement 1.928 personnes alors que la capacité était limitée à 536 passagers.

Combat

« Il y a eu des négligences, des manquements. C’est reconnu », lâche Nadine, qui continue de se battre à travers l’association des familles des victimes françaises du naufrage pour éviter que ce drame « soit banalisé et méprisé ».

En 2003, la justice sénégalaise a classé le dossier sans suite en concluant à la seule responsabilité du commandant de bord, disparu dans le naufrage. Les espoirs de justice en France ont ensuite été douchés par un non-lieu définitif après des années de procédure.

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Malgré une enquête aboutie et l’existence de charges suffisantes contre sept responsables sénégalais, les juges ont constaté l’existence d’une « immunité de juridiction » qui leur permettait d’échapper à la compétence des tribunaux français. Pour Nadine, « c’est comme avoir tué deux fois les victimes » et « anéanti » leurs familles avec.

Deux décennies plus tard, les associations de victimes française et sénégalaises poursuivent leur combat contre l’oubli. Elles demandent le renflouement de l’épave, qui repose à une vingtaine de mètres de profondeur, avec de nombreux corps emprisonnés dans ses entrailles.

Leur autre combat, c’est l’érection d’un mémorial. A Ziguinchor, capitale de la Casamance d’où venait la plupart des victimes, le monument devait être prêt pour le 20ème anniversaire lundi, mais le chantier est loin d’être achevé.

Les victimes françaises, elles, se battent depuis des années pour qu’une stèle soit érigée au cimetière du Père-Lachaise à Paris, un lieu de recueillement que les autorités leur refusent depuis des années. « On n’abandonnera pas nos victimes, c’est pas possible. Ils méritent qu’on les honore. Moi, je serai tout le temps-là, tant que je vis », martèle Nadine.

Cette année, comme tous les ans depuis le drame, hors période covid, elle va participer aux commémorations avec ses pairs au Sénégal, « sa deuxième patrie ». « Sans eux je ne serais peut-être pas là aujourd’hui. J’aurais peut-être choisi de m’effondrer », confie-t-elle, sa main chassant ses larmes.

AFP/Sahutiafrica

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