Après un an de guerre, des Soudanais se remémorent leurs rêves partis en fumée

Au début, en 2018, de la révolution au Soudan, Omar Ushari n’aurait jamais imaginé être un jour réfugié au Caire, après avoir fui la guerre sanglante qui ravage son pays depuis maintenant un an.

 

A l’époque, cet avocat de 37 ans était derrière les barreaux, comme de nombreux opposants emprisonnés par le régime islamo-militaire d’Omar el-Béchir et, comme eux, il s’était réjoui de ce soulèvement populaire.

 

Libéré, dans un Soudan assoiffé de changement après la chute d’Omar el-Béchir en 2019, Omar Ushari a décidé de réaliser son rêve : ouvrir un petit café littéraire qu’il a appelé Rateena, un havre de paix où les militants de Khartoum réfléchissaient collectivement à construire « un meilleur Soudan ».

 

Mais quand le 15 avril 2023, l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo sont entrés en guerre, M. Ushari a vu son projet « peu à peu partir en fumée ».

 

Pendant des mois, bravant les combats de rue, il s’est rendu à Rateena pour, dit-il, « m’asseoir dans la pénombre, prendre note des pillages survenus depuis ma dernière visite, et me souvenir ».

 

Longtemps, il est resté sidéré, incapable de comprendre « commenter la musique, les conférences et les débats avaient disparu au profit des balles perdues éparpillées au sol et l’écho des tirs d’artillerie ».

 

Une «révolution volée»

 

Un an de guerre a dévasté le Soudan et fait des milliers de morts. Le rêve de M. Ushari « n’est qu’un des milliers de rêves qui ont volé en éclat », à l’aune de ce qu’il appelle « une révolution volée ».

 

La transition démocratique enclenchée au départ d’Omar el-Béchir, après 30 ans de pouvoir, a libéré « les espoirs, l’inspiration et l’audace » de la jeunesse, explique à l’AFP Sarah Salmane, qui a travaillé à l’époque dans une société d’investissement à Khartoum.

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Les start-up « bourgeonnaient dans tout le pays », rivalisant de solutions « pour répondre aux vrais besoins des Soudanais », ajoute-t-elle depuis les Etats-Unis. A elle seule, Mme Salmane a examiné plus de 50 projets de start-up dans des secteurs variés, allant de la télé-santé à la finance.

 

Un boom initié par « l’énergie de la révolution », ce moment où « les gens avaient espoir que le Soudan emprunte enfin la bonne voie, sorte des ténèbres et atteinte, via une transition civile, la liberté », se souvient M. Ushari.

 

Comme nombre de ses compatriotes, l’expert en communication Raghdan Orsud, âgée de 36 ans, a pris part au changement. Elle a co-fondé la plateforme de lutte contre la désinformation Beam Reports, « convaincue du rôle que les médias peuvent jouer dans une transition démocratique », dit-elle à l’AFP depuis Londres.

 

Mais deux mois après le lancement de sa plateforme, cette transition fragile a déraillé lorsqu’en octobre 2021, les deux généraux aujourd’hui en guerre ont mené ensemble un coup d’État et confisqué le pouvoir aux civils. « C’était une période douloureuse, des manifestants étaient tués toutes les semaines », se souvient M. Ushari.

 

Pourtant, malgré la répression, la jeunesse soudanaise a continué à battre le pavé pour exiger le retour des civils au pouvoir.

 

Rateena incendié

 

Puis un samedi, à la fin du ramadan, les habitants de Khartoum se sont réveillés au son des tirs d’artillerie. En une nuit, les cadavres d’habitants abattus par des snipers ou fauchés par des balles perdues ont jonché les rues de Khartoum.

 

Plusieurs millions d’habitants ont fui la capitale. Raghdan Orsud a dû abandonner l’équipement sonore flambant neuf qu’elle venait d’acquérir. « Tout était encore empaqueté » quand les paramilitaires se sont emparés de son immeuble.

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Omar Ushari tentait de s’établir au Caire lorsqu’il a reçu un message vidéo montrant un immense incendie. « C’est comme ça que j’ai appris que Rateena avait brûlé ». Avec le café, des milliers de livres et d’œuvres d’art ont été réduits en cendres.

 

De nombreux Soudanais de la diaspora avaient investi les économies d’une vie dans la construction d’une maison à Khartoum, pour aider impuissants à la saisie de leurs biens par les FSR.

 

La cheffe pâtissière Chaimaa Adlan, âgée de 29 ans, raconte que son père, qui vit en Arabie saoudite, « priait pour qu’un bombardement touche la maison ». « Il aurait préféré la voir détruite plutôt que transformée en base paramilitaire », ajoute-t-elle.

 

«Le Soudan est à nous»

 

Mme Adlan, qui venait de lancer une activité de traiteur, s’est retrouvée au Caire, déracinée et sans emploi.

 

Un an plus tard, elle slalome dans une cuisine animée de la capitale égyptienne, lançant des ordres à ses équipes tout en apportant la touche finale à ses plats mêlant subtilement des arômes soudanais et occidentaux.

 

Sur scène, M. Ushari, qui s’est associé à Mme Adlan et à d’autres pour ouvrir un restaurant éphémère doublé d’un espace culturel, présente un musicien soudanais qui s’apprête à jouer le répertoire classique du pays.

 

Cette même jeunesse qui organisait les manifestations rêvait toujours de démocratie et chapeaute l’entraide à travers le pays, constituant, d’après l’ONU, « la première ligne » de la réponse humanitaire à la guerre. Malgré l’exil et la douleur, il reste une « étincelle révolutionnaire » vivace dans le « cœur de tous les Soudanais », dit M. Ushari.

 

« Le Soudan est à nous tous, alors que faire si ce n’est s’atteler à le reconstruire ? », ajoute Mme Orsud.

 

AFP/Sahutiafrica

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