La justice internationale n’a pas permis d’endiguer trois décennies d’atrocités dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), a admis mercredi à Kinshasa le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) qui soutient l’idée avancée par Kinshasa d’un tribunal spécial pour ces crimes.
Le mouvement antigouvernemental M23 a repris les armes en 2021 dans l’est de la RDC, soutenu selon des experts de l’ONU par quelque 4.000 soldats rwandais, et a lancé ces dernières semaines une offensive d’ampleur, s’emparant des chefs-lieux des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Dans un entretien à l’AFP en marge d’une visite à Kinshasa, le procureur Karim Khan s’est dit « extrêmement inquiet de l’escalade des violences » dans l’est, où l’enquête du CPI sur les crimes commis depuis janvier 2022 et se focalise actuellement sur les « rapports horribles qui arrivent de l’est ».
La présidence de la RDC a annoncé lundi l’organisation en avril à Kinshasa d’une « Conférence internationale sur la paix, la sécurité et la justice » qui « examinera les causes de l’instabilité » chronique dans l’est du pays.
A cette occasion sera discutée la création « d’un tribunal spécial pour ce pays, auquel nous apporterons un soutien et une aide technique », a expliqué M. Khan, estimant « absolument » nécessaire une telle juridiction. La première enquête de la CPI après sa mise sur pied en 2002 concernait la RDC et elle a depuis été condamnée à trois personnes coupables d’atrocités dans l’est du pays.
Tribunal « hybride »
Mais « les cycles de violences ont continué (…) pendant des générations. Donc on ne peut pas juste gratter la surface », la situation en RDC appelle « une approche plus globale » qui « nécessite un mandat avec plus de moyens, s’occupant de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité », poursuit-il.
« Ce dont on parle, ce n’est pas simplement que justice soit rendue dans un cas particulier – c’est notre responsabilité première – mais d’essayer d’avoir un effet plus large, plus profond qui mette fin aux cycles de violences qui ont miné ce pays ».
« Cela implique plus de justice et une justice plus appliquée dans toutes les parties du pays », continue-t-il. « Il n’y a pas qu’un seul groupe, il y en a beaucoup. Ce n’est pas dans une seule partie du pays. Il y a plusieurs conflits différents et je pense que nous devons nous y attaquer de façon globale ».
« Faire rendre des comptes peut faire une différence », mais « on ne peut pas avoir un procès, puis passer à autre chose », souligne Karim Khan. La forme exacte de ce tribunal sera définie en avril, mais « il sera sur le sol de la RDC » et « géré par la RDC ». Il pourrait prendre une forme « hybride », mélangeant juges internationaux et nationaux comme « la Cour spéciale pour la Centrafrique ou de la JEP (Justice pour la Paix) en Colombie ».
Mais « la RDC devra créer » son propre modèle « qui remplisse son rôle ici, soit du cru, proche des gens » et « puisse approfondir ce qui concerne les différents conflits » dans la région.
«Faire la différence»
« Nous pouvons soutenir cela » et garder « notre propre mandat et tenter de mobiliser nos ressources d’une façon qui fera la différence », estime le procureur de la CPI, « continuer à gratter la surface et obtenir quelques condamnations » n’est pas suffisant.
« Il n’y a pas qu’un seul groupe armé, il y en a beaucoup. Ce n’est pas dans une seule partie du pays. Il y a plusieurs conflits différents et je pense que nous devons nous y attaquer de façon globale ».
Il faut « faire en sorte que la justice (…) soit ressentie par les gens qui vivent dans la terreur » en RDC ou ailleurs. A l’heure où la légitimité du CPI est attaquée par certains Etats – Washington en tête, qui a pris des sanctions contre M. Khan mi-février – et son bilan contesté, « nous devons montrer (…) que les différentes institutions, nationales, régionales, internationales ont un sens ».
« A moins que nous puissions prouver » cela aux habitants de RDC et d’autres partis du monde « il y aura une érosion » de leur légitimité car « le système basé sur le droit » est « attaqué ». « Nous sommes en pleine tempête », a-t-il averti, avant d’ajouter « nous essaierons de faire de notre mieux pour défendre la justice (…) promise depuis Nuremberg ».
AFP/Sahutiafrica

