Bagarre générale! Alerte! Alerte! Alerte! Des vagabonds s’étripent, au point de vomir leur cœur. Le boucan occasionné m’a mis la puce à l’oreille. La foule en délire fait instinctivement le fameux cercle en scandant de vive voix « Satan kotela bango, babunda! » (Satan entre en eux pour qu’ils se battent).
J’ai plutôt une réputation d’un gars non violent. La preuve quand je viens vers le lieu de la bagarre certains murmurent « mutu ya logique azoya » (l’homme des logiques arrivent). D’autres dans mon dos de disent « Papa kimya aye » (Papa de la paix est venu). Ça l’air plutôt flatteur ! Quoi qu’il en soit, je devais arrêter le massacre.
On souffre déjà assez, pourquoi encore se faire souffrir entre nous. Je m’interpose entre les antagonistes. Ma condition physique leur impose le respect. Mon assurance tiédit leur animosité et ma gueule d’ange froisse le courage de ceux qui boudent de mon action. C’est l’avantage d’avoir un nom ou de s’être fait un nom. Partout, on m’appelle « Monsieur Raison ». Je dois faire honneur à ce surnom, car c’est plus près de l’honneur que de la bêtise.
Les deux bagarreurs au repos, je leur demande « mais vous vous battez pourquoi? » De partout fusent les « c’est lui qui a commencé ». L’essoufflement les gagne, la motivation de la guerre baisse. C’est alors que je demande encore « vous vous battez pourquoi? » Le plus jeune me dit alors « c’est la faute du vieux, il m’a giflé parce qu’il me demandait du poisson à la boutique et je lui ai dit non, mais que j’avais seulement le makayabu (poisson salé) ». Étonné, je lui ai demandé alors « c’est tout ? » « Oui, c’est tout, pour lui poisson c’est aussi makayabu… »
C’est depuis ce jour-là que j’ai appris à ne pas arbitrer n’importe quel combat.
Christian Gombo