« Kofinga te, lata nde », traduit en français Pas d’injures, Habillez-vous, scandent des membres de la Société des ambianceurs et des personnes élégantes (Sape). Comme chaque 10 février, ils célèbrent leur grande joute vestimentaire dans les rues à Kinshasa, capitale congolaise. La religion Kitendi (Habillement) est résolument extravagante pour célébrer la sape, le style, la frime et le chic. Hommes et femmes défilent sur le tronçon du boulevard du 30 juin à quelques centimètres du cimetière de la Gombe, où est enterré Strervos Niarkos, autrement dit le pape de la Sape. Il est décédé le 10 février 1995, alors qu’il était détenu à une prison française pour une affaire de drogue. 27 ans après sa mort, qu’en est-il de son héritage ?
« Je suis adepte de la religion Kitendi depuis mes dix ans d’âge. Après le décès de mon père, j’appréciais le mode d’habillement de mes vieux qui adoraient s’habiller dans mon quartier à Selembao. Strervos Niarkos est l’icône et le pionnier. Mais également le dieu de la sape, car il a intégré la sape au ghetto. Tant d’années après sa mort, son idéologie traverse toutes les frontières du monde », confie Japon Tekasala, sapeur et la trentaine. Il parle avec aisance et sûreté. Il porte une veste de couleur jaune et d’une chaussure dernier cri de marque anglaise, d’une poche de fleur et d’une cravate rouge. Mais il s’indigne que le gouvernement congolais ne prenne pas en compte la sape, comme un des piliers de la culture congolaise.
Dans la foulée, certains sapeurs font quelques pas, s’arrêtent, claquent des talons pour attirer l’attention sur leurs chaussures, roulent des épaules et montrent avec hautain leurs vêtements. Ils répètent à haute voix les noms de leur marque.
« La sape n’a pas d’âge. Elle vit avec nous jusqu’à la mort. Strervos Niarkos a imposé une idéologie qui nous transcende. Les griffes de haute marque ont été adopté par les Congolais grâce à lui. Et en tant qu’ancien, nous l’octroyons à la jeune génération », dit Koko Sape Mobe, 78 ans. Il est vêtu d’un chapeau léopard rappelant le Maréchal Mobutu, d’un manteau de velours et d’une canne à la main.
Veste en cuir, manteau, blouson, pantalon, parfois relevé à mi-mollet, chaussures en cuir (version croco ou vernie), chapeau, casquette, lunettes de soleil, costume ample, cravate, nœud papillon, écharpe. Pour Crackly Philippe, membre de la délégation du Congo-Brazza, le fleuve Congo n’est qu’un cours d’eau qui réunit la RDC et le Congo-Brazza. « Nyarkos nous a légué une richesse que nous devons préserver. Il était mixte dans l’habillement avec son ami Papa Wemba, qui rappelait à chaque fois Kitendi botika te (N’arrêtez pas avec l’habillement). Nous devons savoir que la Rumba est toujours accompagnée avec la Sape », renchérit-il.
La sape, c’est aussi l’éducation et la tradition
Selon Sivio, la quarantaine, pour bien s’habiller demande également d’avoir une notion d’études pour la défendre. « Nous sommes des pères et mères de famille. Un sapeur qui ne sait pas lire ou encore moins calculer, ne peut rien comprendre de ce que nous faisons. Il y a des passionnés, dont il faut encadrer. Le ministère de la Culture doit nous prendre au même niveau que les autres artistes comme c’est le cas en Côte d’Ivoire et en Angola », regrette-t-elle.
« La sape, c’est d’abord le retour à l’authenticité congolaise. Nos frères font la promotion des marques asiatiques et européennes. Nous avons fait recours aux mayaka (perles rares), qui servent de colliers ou bijoux pour nos femmes. Cela est aussi conçu pour l’habillement. Et nos produits sont commandés pour des défilés de mode à l’extérieur du pays », explique Koko Lema, cofondateur de la marque Mayaka.
Le mouvement Sape (société des ambianceurs et des personnes élégantes) est né dans les années 60 en RDC. Le concept initial est de défiler avec grandiloquence dans les vêtements et chaussures. Mais aussi d’accessoires des grands créateurs. Ces derniers sont vénérés comme des dieux.
Ali Maliki