Au Cameroun, la Fecafoot et le ministère des Sports se livrent à un bras de fer avec des rebondissements depuis la nomination de Marc Brys, technicien belge de 62 ans, au poste de sélectionneur de l’équipe nationale.
C’est une affaire qui retient l’attention. Mais, surtout, elle risque de précipiter le Cameroun dans un saut vers l’inconnu. Alors qu’ils doivent affronter le Cap-Vert et l’Angola en juin pour les qualifications au Mondial 2026, les Lions Indomptables se retrouvent sans sélectionneur. La raison ? La Fecafoot a décidé de suspendre Marc Brys et son staff, nommés par Narcisse Mouelle Kombi, ministre des sports en avril dernier.
Nouveau rebondissement
Cet épisode est parti de la décision de la chambre de conciliation et d’arbitrage du Comité olympique camerounais. Cette commission, réunie par l’association des clubs amateurs et la Ligue professionnelle, a suspendu le staff d’encadrement nommé par la Fecafoot pour épauler Marc Brys. L’objectif est d’empêcher Samuel Eto’o de choisir les hommes, qui doivent entourer le technicien belge.
Sans doute, cette décision a été celle de trop pour le champion d’Afrique 2000-2002. Samuel Eto’o a, malgré lui, accepté le choix de Marc Brys à condition de pouvoir choisir son propre staff. Il n’a pas trouvé gain de cause. D’après Hervé Penot, spécialiste du football africain au quotidien français L’Equipe, Samuel Eto’o est attaqué par la Ligue professionnelle et les clubs amateurs.
« Eto’o a voulu refuser le sélectionneur nommé par le ministère des sports. Finalement, il s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas le faire. Il a nommé un nouveau staff pour avoir deux staffs en opposition. Parce qu’il n’est pas question, pour lui, d’avoir le staff nommé par le ministère des sports. Dans le staff nommé par le ministère, le directeur de la communication, des équipes nationales et son adjoint ainsi que l’entraîneur de gardiens sont considérés comme des anti-Eto’o », décrypte M. Penot, qui anime aussi un podcast sur l’Équipe.fr autour du football africain.
Au lendemain de la décision de la Fecafoot, Cyrille Tollo, conseiller au ministère des Sports, a, dans un post sur les réseaux sociaux, taclé Samuel Eto’o. Pour lui, tout Camerounais sensé et responsable doit prendre acte de la sentence de la Chambre de conciliation et d’arbitrage du comité olympique camerounais.
Visiblement, chaque camp tente d’avoir le contrôle. Jusqu’où peut aller ce bras de fer ? « On ne sait pas », répondent des observateurs du football camerounais. Timothée Atouba, ancien international camerounais, regrette ce bras de fer.
Il estime que « l’Etat, représenté par le ministère des Sports, devrait accompagner les fédérations ». « Les fédérations devraient être libres de choisir, elles-mêmes, leurs propres encadreurs et staffs. L’un doit céder pour que l’autre fasse son travail », affirme l’ancien coéquipier de Samuel Eto’o en sélection.
Pour l’heure, le climat n’est pas à la sérénité. D’un côté, le ministère des Sports tente de vouloir s’imposer. De l’autre, une Fecafoot, trop jalouse de son indépendance, ne rompt pas. Entre-temps, le nom de Marc Brys a été retiré de la liste de la Fifa. Le technicien belge est déjà mis à la porte, alors que son histoire avec les Lions indomptables n’a jamais débuté. M. Brys a pourtant rencontré les joueurs lors d’une tournée et pensait à une liste de trente joueurs. D’un coup, tout s’arrête ? Pas du tout pour l’ancien coach de Louvain.
« Si j’ai été licencié ? Ce sont de fausses informations », affirme Marc Brys après une visite au stade de Ngoa Ekelle à Yaoundé. Il poursuit sa préparation pour les éliminatoires, comme si de rien n’était.
« Je déplore que le ministère des Sports n’ait pas eu la présence d’esprit de s’assoir autour d’une table avec la fédération pour trouver un terrain d’attente au lieu d’imposer à la fédération, ce qu’elle considère comme un droit qui l’a été accordé par le chef de l’Etat par son décret », glisse Atouba, qui craint une suspension de la FIFA et espère que « les deux parties trouveront un accord ».
«Ping-pong sur les réseaux sociaux»
Cette crise secoue et divise l’opinion dans le pays, où le football et la politique ont un lien étroit. « Maintenant, tout le monde commence à dire que si jamais le Cameroun est suspendu, ce serait la faute du ministère. D’autres disent que ce serait la faute de la fédération », commente Lawrence Nkede, journaliste sportif camerounais.
Une suspension de la Fifa serait un drame national de Yaoundé à Douala, passant par Bafoussam. « Le ministère et la fédération ne se parlent pas. Chacun pond ses communiqués, ses décrets. Cela fait du ping-pong sur les réseaux sociaux. C’est comme ça que la nation toute entière s’embrase », déplore le journaliste camerounais.
Il affirme « qu’avec l’élection de Samuel Eto’o, l’Etat a demandé au ministère des Sports de laisser librement à la fédération de tout gérer ». Mais, les résultats sont décevants, selon l’analyste qui cite le discours du président Paul Biya en février dernier.
L’arbitrage du président Biya ?
Après une Coupe d’Afrique des nations (Can) décevante en terres ivoiriennes, les Lions Indomptables sont très attendus. Et pourtant, depuis que Samuel Eto’o a limogé Rigobert Song, le Cameroun connaît un scénario surréaliste autour de la nomination de son successeur.
Le Cameroun peut surprendre comme dans ses habitudes et sortir de la crise. « On est dans l’incertitude avec cette sensation que tout peut se passer d’ici à deux semaines », croit Hervé Penot.
Dans ce bras de fer entre la Fecafoot et le ministère des Sports, qui peut trancher ? Seul le président Paul Biya. « Le président de la République, Paul Biya, est quelqu’un qu’on n’entend jamais. On ne sait pas ce qu’il pense réellement, parce qu’il ne parle jamais », souffle le spécialiste du football africain au quotidien L’Equipe.
Trésor Mutombo