1. Introduction
La politisation de l’administration publique est un phénomène qui se manifeste par la nomination de personnes à des postes administratifs sur la base de leur affiliation politique plutôt que de leur compétence ou de leur expérience professionnelle. En RDC, ce phénomène s’est intensifié depuis l’accession au pouvoir du parti UDPS en 2019. Cet essai propose une réflexion scientifique sur l’historique, les avantages et les méfaits de la politisation de l’administration publique, ainsi que des recommandations pour corriger ses inconvénients.
2. Historique de la Politisation de l’Administration Publique en RDC
La politisation de l’administration publique en RDC n’est pas un phénomène nouveau. Depuis l’indépendance du pays en 1960, plusieurs régimes successifs ont utilisé les nominations administratives comme un moyen de consolider leur pouvoir. Sous le régime de Mobutu Sese Seko, par exemple, le clientélisme était omniprésent, et les postes administratifs étaient souvent attribués en fonction de l’allégeance politique plutôt que de la compétence.
Après la chute de Mobutu, les régimes de Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila ont également utilisé la politisation de l’administration comme un outil de contrôle politique. L’arrivée au pouvoir de l’UDPS en 2019 a marqué une nouvelle phase de ce processus, avec une intensification de la nomination de membres du parti à des postes stratégiques.
3. Avantages de la Politisation de l’Administration Publique
Bien que souvent critiquée, la politisation de l’administration publique peut présenter certains avantages :
• Stabilité Politique : En nommant des membres du parti à des postes clés, le gouvernement peut s’assurer de la loyauté de l’administration, réduisant ainsi les risques de frictions internes ou de sabotages administratifs.
• Réalisation du Programme Politique : Les cadres administratifs nommés sur des bases politiques sont plus susceptibles d’adhérer et de mettre en œuvre le programme politique du parti au pouvoir, ce qui peut favoriser la cohérence dans l’exécution des politiques publiques.
• Renforcement de la Cohésion du Parti : La distribution de postes administratifs peut être utilisée comme un moyen de récompenser la loyauté des membres du parti, renforçant ainsi la cohésion interne.
4. Méfaits de la Politisation de l’Administration Publique
Cependant, les inconvénients de la politisation de l’administration publique sont nombreux et souvent plus marqués que ses avantages :
• Compromission de la Compétence et de l’Efficacité : La nomination de personnes non qualifiées ou incompétentes à des postes administratifs peut entraîner une inefficacité dans la gestion des affaires publiques, ce qui nuit au bon fonctionnement de l’administration publique.
• Corruption et Clientélisme : La politisation favorise souvent la corruption et le clientélisme, où les nominations sont basées sur des loyautés personnelles plutôt que sur l’intérêt général. Cela peut conduire à un système où les décisions sont prises en fonction des intérêts politiques plutôt que des besoins de la population.
• Perte de Confiance dans les Institutions : Lorsque les citoyens perçoivent que l’administration publique est politisée et corrompue, cela érode la confiance dans les institutions, ce qui peut déstabiliser l’État et affaiblir la démocratie.
• Incohérence dans la Politique Publique : La rotation fréquente de cadres administratifs basée sur des raisons politiques peut entraîner une discontinuité dans la mise en œuvre des politiques publiques, perturbant ainsi le développement national.
5. Recommandations pour Corriger les Inconvénients de la Politisation
Pour réduire les effets néfastes de la politisation de l’administration publique en RDC, les recommandations suivantes pourraient être envisagées :
• Renforcer le Mérite dans les Nominations : Mettre en place des mécanismes rigoureux pour assurer que les nominations dans l’administration publique soient basées sur la compétence, l’expérience, et le mérite, plutôt que sur l’affiliation politique.
• Dépolitiser les Postes Techniques : Établir une distinction claire entre les postes politiques et les postes techniques dans l’administration. Les postes techniques, nécessitant des compétences spécifiques, devraient être protégés de la politisation.
• Promouvoir la Transparence et la Redevabilité : Instaurer des procédures transparentes pour la nomination des fonctionnaires, y compris des auditions publiques pour les postes de haut niveau, et des mécanismes de redevabilité pour les titulaires de ces postes.
• Renforcement des Institutions de Contrôle : Renforcer les institutions de contrôle et de régulation, telles que la Cour des comptes et l’Inspection générale des finances, pour surveiller les pratiques de nomination et lutter contre la corruption.
• Éducation et Sensibilisation : Mener des campagnes de sensibilisation pour éduquer les citoyens et les responsables politiques sur l’importance de la compétence et de l’éthique dans l’administration publique.
6. Parallélisme avec le Spoil System aux États-Unis
Pour mieux comprendre la politisation de l’administration publique en RDC, il est pertinent de faire un parallèle avec le « spoil system » aux États-Unis, un système de distribution des postes administratifs sur la base de l’affiliation politique, introduit au début du XIXe siècle.
Le terme « spoil system » vient de l’expression « to the victor belong the spoils » (au vainqueur reviennent les dépouilles), qui signifie que le parti gagnant d’une élection a le droit de distribuer les postes et les avantages à ses partisans.
Sous ce système, les postes publics, allant des postes de bureau mineurs aux positions de responsabilité, étaient souvent donnés en récompense à ceux qui avaient soutenu activement un candidat ou un parti lors des élections.
Cela signifiait que lorsqu’un nouveau président ou un nouveau parti accédait au pouvoir, une grande partie de l’administration publique pouvait être remplacée par des personnes fidèles au nouveau dirigeant, indépendamment de leur compétence ou expérience professionnelle.
a. Historique du Spoil System aux Etats-Unis
Le spoil system a été popularisé sous la présidence d’Andrew Jackson, qui a pris ses fonctions en 1829. Sous ce système, les postes au sein de l’administration fédérale étaient attribués aux partisans du parti vainqueur, souvent sans tenir compte de leur compétence ou de leur expérience.
L’idée sous-jacente était que la victoire aux élections donnait au parti vainqueur le droit de « récompenser » ses partisans en leur confiant des postes administratifs.
Cependant, ce système a rapidement montré ses limites, conduisant à une inefficacité administrative et à une corruption généralisée. Les critiques de ce système ont abouti à des réformes significatives, notamment avec l’adoption du Pendleton Civil Service Reform Act en 1883, qui a institué un système de fonction publique basé sur le mérite et non sur l’affiliation politique.
Ce système de méritocratie a progressivement remplacé le « spoil system » dans de nombreuses parties du gouvernement fédéral, bien que certaines traces subsistent encore dans les nominations politiques de haut niveau, comme les ambassadeurs ou les membres du cabinet présidentiel.
b. Comparaison avec la Politisation en RDC
Il existe des similitudes claires entre le spoil system américain et la politisation de l’administration publique en RDC :
• Distribution Politique des Postes : Dans les deux contextes, les postes administratifs sont (ou étaient) souvent attribués en récompense pour la loyauté politique, plutôt qu’en fonction de la compétence. En RDC, comme sous le spoil system, cela peut conduire à l’inefficacité de l’administration publique et à un affaiblissement des institutions étatiques.
• Corruption et Clientélisme : Les deux systèmes encouragent la corruption et le clientélisme, où les nominations et les promotions sont influencées par des considérations politiques plutôt que par l’intérêt public.
• Réaction contre le Système : Tout comme les États-Unis ont dû réformer leur système pour introduire des mécanismes basés sur le mérite, la RDC pourrait bénéficier de réformes similaires pour promouvoir l’efficacité et la transparence dans l’administration publique.
c. Leçons Tirées du Spoil System
L’expérience des États-Unis avec le spoil system offre plusieurs leçons importantes pour la RDC :
• Importance des Réformes : Les réformes du système de la fonction publique, comme celles introduites par le Pendleton Act, sont cruciales pour garantir que l’administration publique fonctionne de manière efficace et qu’elle soit au service de l’ensemble de la population plutôt que des intérêts partisans.
• Renforcement des Institutions : La transition vers un système basé sur le mérite nécessite le renforcement des institutions qui supervisent le recrutement et la gestion du personnel administratif. En RDC, cela pourrait impliquer des réformes législatives et institutionnelles pour garantir une plus grande indépendance et compétence dans les nominations publiques.
• Éducation Politique : Comme aux États-Unis, où la prise de conscience publique a joué un rôle dans la demande de réformes, il est essentiel d’éduquer les citoyens et les responsables politiques en RDC sur les dangers de la politisation excessive et sur les avantages d’une administration publique professionnelle et indépendante.
7. Conclusion
Le parallèle avec le spoil system américain met en lumière les dangers de la politisation excessive de l’administration publique et souligne l’importance des réformes pour garantir une gestion publique efficace et juste. La RDC, en tirant des leçons de l’expérience américaine, peut aspirer à construire une administration publique qui soutienne véritablement le développement du pays et le bien-être de sa population.
La politisation de l’administration publique en RDC, bien qu’ayant des racines historiques profondes et quelques avantages potentiels, pose de graves risques pour l’efficacité, la transparence, et la stabilité du pays. Pour construire une administration publique capable de répondre efficacement aux besoins de la population, il est essentiel de promouvoir des pratiques de nomination basées sur le mérite et de renforcer les institutions de contrôle. Cela contribuera à restaurer la confiance des citoyens dans les institutions publiques et à soutenir un développement durable et inclusif.
Cette réflexion ouvre la voie à des discussions plus approfondies sur la réforme de l’administration publique en RDC, un enjeu crucial pour l’avenir du pays
Dédé Watchiba, Professeur d’Universités, Chercheur et Analyste politique.