Face à la crise, les Nigérians sacrifient leur voiture

La crise économique et l’explosion du prix de l’essence n’ont pas laissé d’autre choix à Emmanuel Bolaji : il a renvoyé son chauffeur personnel et relégué au parking sa Honda Pilot, un SUV populaire à Lagos, la capitale économique du Nigeria.

 

Comme lui, de nombreux Nigérians, y compris de la classe moyenne, abandonnent de plus en plus leur véhicule faute de pouvoir faire le plein, le prix de l’essence ayant quintuplé en un an et demi dans le pays le plus peuplé d’Afrique.

 

« Je n’ai plus les moyens de payer le carburant, donc j’ai garé ma voiture chez mon fils et j’utilise les transports en commun pour me déplacer », admet ce retraité de 72 ans, ancien employé dans le secteur de la santé.

 

Depuis son arrivée au pouvoir en mai 2023, le président Bola Ahmed Tinubu a mis en place des réformes économiques visant à attirer les investissements étrangers et à remplir les caisses de l’Etat.

 

Parmi ses mesures phares, la suppression des subventions sur l’essence, qui ont permis pendant des décennies de maintenir les prix du carburant artificiellement bas.

 

Mais depuis, les prix à la pompe ont explosé : un litre d’essence s’achetait moins de 200 nairas (0,11 euro) début 2023, il est passé à 998 nairas (près de 0,6 euro) dans les stations- services les moins chères du pays début octobre.

 

Parallèlement, l’inflation dépasse les 30% depuis près d’un an, faisant chuter considérablement le pouvoir d’achat des Nigérians dont la précarité s’est accumulée, dans un pays de 220 millions d’habitants qui signifiait déjà 40% de pauvres, selon la Banque mondiale, un chiffre « qui devrait augmenter en 2024 et 2025 avant de se stabiliser en 2026 ».

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La classe moyenne, qui représentait en 2020 environ 20% des habitants, est-elle aussi sévèrement touchée et n’hésite plus à sacrifier le confort du véhicule personnel pour joindre les deux bouts.

 

« De nombreuses personnes mettent en vente leurs grosses voitures », explique Maji Abubakar, vendeur de voitures à Abuja, la capitale du pays. « Le problème c’est qu’il n’y a plus de demande », regrette-t-il. Et il en subit les conséquences, amer : « Cela fait plus d’un an que je n’ai pas vendu de véhicules à moteur 8 cylindres » (des SUV et voitures de sport, ndlr).

 

Même les « go-slow », les légendaires embouteillages lagotiens, ne sont plus si fréquents.

Occasion, voitures chinoises et vélo

 

Elijah Bello, entrepreneur dans la tech qui vit dans l’Etat d’Ogun, dans le sud du Nigeria, cherche à vendre sa grosse Lexus RX350 sans trouver preneur, du moins pas au prix qu’il souhaite.

 

Il a néanmoins acheté une voiture plus petite, une Toyota Corolla d’occasion, moins consommatrice de carburant, pour la remplacer. « Pour 55.000 nairas (31 euros), je peux aller au travail avec la petite voiture pendant deux semaines, alors que je dois dépenser 100.000 nairas (56,4 euros) pour la Lexus, et ça ne me dure qu’une semaine », compte-t-il.

 

Le marché de vente des voitures neuves au Nigeria a chuté « de 10 à 14% » en un an, souligne Kunle Jaiyesimi, directeur-adjoint à Lagos du groupe CFAO, spécialisé entre autres dans la distribution automobile.

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« Il y a deux ans, on pouvait acheter un SUV pour 40 ou 45 millions de nairas (22.500 à 25.400 euros environ), mais il faut maintenant débourser plus du double », détaille-t-il.

 

Selon lui, « les gens de la classe moyenne ont même du mal à acheter des voitures d’occasion, ils se tournent plutôt vers les constructeurs chinois qui deviennent de plus en plus populaires, comme Changan et GAC », dont les voitures se vendent bien moins cher.

 

La tendance est à l’œuvre « depuis plus d’un an » mais « elle va s’intensifier » et « on verra moins de voitures sur les routes », estime Bunmi Bailey, analyste au sein du cabinet nigérian SBM Intelligence.

 

D’aucuns ne se laissent même tenter par l’appel du vélo, notamment dans les grandes villes comme Lagos, où l’urbanisme n’est pourtant pas adapté au cyclisme et où les accidents de la circulation sont monnaie courante.

 

« Nous constatons que le nombre de cyclistes augmente depuis la hausse des prix de l’essence », explique Femi Thomas, patron de FT Cycle Care, une entreprise visant à promouvoir l’usage du vélo à Lagos.

 

De son côté, la plateforme de livraisons en ligne Glovo observe « un intérêt grandiose pour les livraisons à vélo ». Elles représentent désormais « environ 20% de nos livraisons » dans le pays, selon Chidera Akwuba, responsable des relations publiques du groupe au Nigeria.

 

AFP/Sahutiafrica

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