Dans une tribune, Patrick Mbeko, auteur et analyste politique, spécialiste de la région des grands lacs, est revenu sur l’article de Jeune Afrique, dans lequel le magazine rapporte des propos tenus par Joseph Kabila, président honoraire et autorité morale du FCC. Ci-dessous, l’intégralité de la tribune de Patrick Mbeko, publiée sur son compte Facebook.
J’ai lu avec intérêt l’article de Jeune Afrique consacré à la retraite du FCC à Kingakati. Joseph Kabila a dit des choses; non seulement il a fustigé le non-respect des engagements par Félix Tshisekedi, mais il a aussi et surtout appelé le FCC à la résistance face à son successeur. Au regard de ses propos, on serait tenté de croire que Félix Tshisekedi est en train de marquer des points face à son prédécesseur. Erreur!
En effet, quand on analyse à froid les propos de Joseph Kabila, on s’aperçoit qu’il applique ce que j’appellerai la «stratégie du félin». Celle-ci alterne élégance, faux-fuyants et ruse. À chaque séquence de la chasse, correspondent une ou plusieurs aptitudes: l’élégance et une certaine forme d’humilité dans les propos malgré les différends qui l’opposent à CACH. Faux-fuyant en n’abordant pas la question de fond à l’origine de ces différends. Et ruse en faisant croire que Félix Tshisekedi a les coudées franches pour l’affronter, alors qu’il pourrait le neutraliser sans coup férir s’il le voulait. C’est comme un félin qui, pour appâter sa proie qui gesticule non loin de lui, projette une image de faiblesse de lui-même pour amener la proie en question à se sentir en confiance et à se rapprocher de lui… dans l’optique de la neutraliser.
De tout ce que Joseph Kabila a eu à dire aux membres de sa famille politique, le parallèle qu’il a établi avec la situation du Congo au lendemain de l’indépendance résume assez clairement sa pensée profonde. «Le démon de 1960 est toujours là», a-t-il dit en substance.
Il ne faut pas se faire d’illusion: Joseph Kabila a toujours été préparé à faire face à n’importe quelle éventualité. Il aurait bien voulu que la crise avec CACH survienne plus tard, mais face à la situation actuelle, il va sûrement pousser Félix Tshisekedi à l’erreur pour enclencher la mécanique qui va mener à sa perte. Bien entendu, les intégristes de l’UDPS ne semblent pas comprendre cela. Certains diront que j’exagère ou que, comme me le disait une connaissance de l’UDPS, j’accorde «une importance démesurée» à un Kabila qui ne pèse plus vraiment face à Félix. Peut-être. Mais ne pas oublier que tous ceux qui ont sous-estimé Kabila ont eu de sérieux problèmes. Jean-Pierre Bemba l’a fait et s’est retrouvé à la CPI pendant 10 ans. Étienne Tshisekedi l’a fait et ça lui a coûté des mois de résidence surveillée. Quant à Félix Tshisekedi, ça pourrait lui coûter, dans la conjoncture survoltée actuelle du Congo et de la sous-région, sa vie.
Ceux qui pensent que les États-Unis vont voler au secours de Félix Tshisekedi doivent savoir que Mike Hammer ne représente pas nécessairement la position du Département d’État, et qu’en cas de conflit ouvert avec la Kabilie, il se pourrait que la Chine et la Russie ainsi que certains pays de la région interviennent pour faire pencher la balance d’un côté comme de l’autre.
En dépit de ce que je pense du processus qui a conduit Félix Tshisekedi au pouvoir, je reste persuadé que c’est quelqu’un de bien en dehors de la politique. Mais il a besoin d’être bien entouré. Il en va de son pouvoir déjà fragile mais aussi et surtout de sa vie. Plusieurs chefs d’État ont été tués dans cette région martyre. À ce stade-ci, Félix a plus besoin de stratèges que de cireurs de pompe à la Mbata…
Patrick Mbeko/ Analyste politique, auteur et spécialiste de la région des Grands Lacs