Le chef de l’opposition kényane Raila Odinga a affirmé mercredi qu’il ne dialoguerait avec le président William Ruto qu’en présence d’un « médiateur », pour mettre fin à plusieurs mois de manifestations meurtrières contre le gouvernement et la hausse du coût de la vie.
Mardi soir, le chef de l’Etat avait déclaré être « disponible » pour le « rencontrer en tête-à-tête, n’importe quand ».
« Je pense qu’il (…) n’est pas sérieux au sujet du dialogue », a déclaré à l’AFP Raila Odinga, en marge d’un hommage aux victimes de la « violence policière sans précédent » organisée selon l’AFP ‘opposition par les autorités pour réprimer les manifestations qui se tiennent depuis mars.
« Ce n’est pas quelqu’un en qui vous pouvez avoir confiance, (…) c’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’il y doit avoir un médiateur entre nous. Je suis prêt à parler s’il ya un médiateur entre nous », a-t-il ajouté.
Les deux camps ont déjà tenté d’organiser des « discussions bi-partisanes » après les premières manifestations organisées par l’opposition, qui accusent le gouvernement d’aggraver avec sa politique les difficultés économiques des Kényans.
Mais elles ne se sont jamais concrétisées, entraînant la reprise début juillet de cette mobilisation qui a été émaillée de pillages, actes de vandalisme et d’affrontements ayant fait plusieurs dizaines de morts.
Selon la coalition d’opposition Azimio, au moins 50 personnes ont été tuées depuis mars, une vingtaine, selon les chiffres officiels, durant ses neuf premières journées d’action.
Dans un communiqué, elle a affirmé qu’elle annoncerait vendredi « les prochaines étapes » de sa mobilisation.
«Impasse»
Mercredi matin, des habitants de la capitale Nairobi appelaient leurs dirigeants à discuter.
« Qu’ils s’assoient et qu’ils dialoguent. (…) S’ils ne se parlent pas, l’impasse ne finira jamais et nos souffrances continueront », a exhorté Josphat Ng’atho, chauffeur de « boda boda » (moto-taxi) de 36 ans.
« Montrez-moi quelqu’un qui n’est pas fatigué des manifestations », lançait de son côté Cate Wafula, 29 ans, réceptionniste dans un immeuble de bureaux : « Je ne viens pas au travail chaque fois qu’il ya des manifestations parce que j’ai peur d’être attaquée et volée ».
Locomotive économique d’Afrique de l’Est, le Kenya voit son activité paralysée lors des journées de manifestations, par crainte d’incidents et de violences.
Depuis deux semaines, l’ONU, des puissances occidentales ainsi que le clergé et les principaux journaux kényans ont multiplié les appels au dialogue.
L’opposition a transformé sa dixième journée de manifestations prévue mercredi en un hommage aux « victimes des violences policières ».
Accompagné d’une dizaine de leaders d’opposition et d’une centaine de sympathisants, Raila Odinga s’est rendu dans des hôpitaux de Nairobi pour rencontrer des victimes présumées. Il a ensuite allumé des bougies et déposé des roses blanches « à la mémoire des défunts ».
Des organisations de défense des droits humains ont énoncé la répression menée par les forces de l’ordre, qui ont parfois tiré à balles réelles. Une coalition de 29 ONG, dont Amnesty International, a affirmé avoir documenté 27 « exécutions extrajudiciaires, sommaires et acquittés » lors des manifestations en juillet.
Le ministère de l’Intérieur a déclaré mardi que les allégations « d’exécutions extrajudiciaires et/ou de recours excessifs à la force (…) sont erronées, fausses et destinées à tromper l’opinion publique ».
«Sabotage économique»
Elu en août 2022 face à Raila Odinga qui ne reconnaît pas les résultats du scrutin, William Ruto fait face à une contestation croissante.
L’ancien vice-président (2013-2022), qui avait promis de soutenir les plus défavorisés, est accusé de réduire le pouvoir d’achat des Kényans, déjà grevé par une inflation continue (+8 % sur un an en juin), avec la loi de finances accordée de nouvelles taxes qu’il a promulguée en juillet.
Estimant que « les manifestations et la contestation ne sont pas une solution », William Ruto dénonce un « sabotage économique » mené par l’opposition.
Selon une association d’organisations du secteur privé (Kepsa), chaque journée de mobilisation fait perdre l’équivalent de 3 milliards de shillings (environ 19 millions d’euros) à l’économie kényane.
AFP/SahutiAfrica