Germaine Razafindrakala, 77 ans, frotte énergiquement au savon une chemise à la couleur passée dans ce lavoir public du centre de la capitale malgache : « Le prochain président, c’est Rajoelina », peut déjà prédire la lavandière, sans même attendre les résultats.
Au lendemain du premier tour de la présidentielle à Madagascar, les rues d’Antananarivo semblent s’être réveillées vendredi avec la certitude d’une victoire du chef d’Etat sortant, Andry Rajoelina, candidat à 49 ans à un second mandat.
Et les premiers résultats très partiels semblaient accréditer ce scénario : vendredi après-midi, Raojoelina recueillait plus de 70% des suffrages exprimés sur près de 9% des bureaux de vote comptabilisés, selon des résultats mis en ligne par la commission électorale, dont l’impartialité est toutefois mise en doute par l’opposition.
Le scrutin s’est tenu jeudi dans un climat de vives tensions entre le camp du président sortant et un collectif de dix opposants candidats, qui ont dénoncé des irrégularités et avaient appelé les quelque onze millions d’inscrits à bouder une élection « jouée d’avance ».
Avec un taux d’abstention à environ 60%, au plus fort « dans l’histoire de Madagascar » dénonce l’opposition, le collectif a d’ores et déjà déclaré « ne pas reconnaître » le scrutin et continue à réclamer une suspension du processus électoral. Les résultats préliminaires du premier tour doivent être connus dans une semaine. Un second tour, si nécessaire, est prévu le 20 décembre.
Couleur politique
Dans une petite rue en pente d’Antananarivo, mégalopole surpeuplée et constamment congestionnée, un policier en uniforme use frénétiquement de son sifflet et agite les bras pour tenter de faire avancer le fatras de camionnettes, mobylettes et vieux modèles de voitures françaises recyclées en taxis. Dans le vacarme, certains sirotent un petit café.
Il y a quelques jours, cette même rue était couverte de parasols distribués pendant la campagne aux vendeurs ambulants, à l’effigie de Rajoelina et couleur orange, emblématique de son parti. Il n’en reste désormais plus un seul. « Ça faisait baisser les ventes », confie une vendeuse de mangues, qui ne veut pas donner son nom.
Alors, à peine les bureaux de vote fermés, la rue a repris ses allures habituelles. La cabane en bois abritant une boucherie brandit ses classiques ribambelles de saucisses à l’ail et pièces de zébu plantées sur des crochets en métal.
Un peu plus loin, Risse Nampona vend des cigarettes à l’unité. Quelques centimes d’euros l’une, un peu plus si c’est une marque étrangère. Lui aussi a replié le parasol orange : « Avoir une couleur politique, ça ne m’intéresse pas », dit le jeune homme de 22 ans.
Est-ce qu’il craint une crise politique ? « Pour nous, ça sera comme d’habitude : la vie est dure et ça ne change pas », lâche-t-il en retournant, avec le rêve « de quitter le pays », à son manuel de « Droit et gestion » ouvert sous son étal. Malgré des richesses naturelles exceptionnelles, l’île de l’océan Indien compte parmi les pays les plus pauvres de la planète.
La crise politique a été déclenchée en juin par la révélation de la naturalisation française, en toute discrétion, d’Andry Rajoelina en 2014. Selon l’opposition, qui a multiplié les manifestations depuis début octobre, cela devait l’empêcher de se présenter.
Elu depuis 2018, Rajoelina avait déjà accédé une première fois au pouvoir en 2009 à la faveur d’une mutinerie chassant l’ex-président Marc Ravalomanana.
« On espère qu’ils vont arriver à se mettre d’accord », dit sans conviction Rakotonirna Omnisoa, 48 ans. Retournant vendre des paquets de nouilles instantanées et du sucre en vrac dans sa modeste épicerie, elle explique qu’ici, « les gens se battent pour survivre et évitent de se mêler de politique ».
AFP/Sahutiafrica