Un an de la junte militaire au pouvoir en Guinée, les défis, le projet et l’épineuse question de la durée de la transition. Kabinet Fofana, analyste politique guinéen, répond aux questions de Sahutiafrica.
Conakry, capitale guinée, dimanche 5 septembre 2021. Ce jour-là, un groupe de militaires a, triomphalement, déposé le président Alpha Condé. La Guinée est, depuis, dirigée par un jeune colonel, qui a promis de réconcilier les Guinéens pour le développement du pays : Mamady Doumbouya. Pourtant, un an après, les tensions sont vives entre les militaires d’un côté, et la classe politique ainsi que la société civile, de l’autre. La durée de la transition fixée à trente-six mois par le Conseil national de transition divise. Des manifestations sont interdites ou réprimées. Pour l’analyste Kabinet Fofana, le climat politique actuel remet en cause la rupture vendue par le Comité national de redressement pour le développement (CNDR-junte militaire) à la prise du pouvoir. Entretien.
Sahutiafrica : Un an après la chute du président Alpha Condé, qu’en est-il de la transition en Guinée ?
Kabinet Fofana : Lorsqu’on analyse de manière plus profonde et du point de vue des activités allant dans le sens du retour à l’ordre constitutionnel, on se rend bien compte, qu’appart à la mise en place du gouvernement de transition et du CNT, il y a moins d’activités mises en place pour permettre le retour à l’ordre constitutionnel. Un an après, il y a cette difficulté à mettre en place un véritable cadre de dialogue qui permette à la fois l’ouverture vers les acteurs sociaux et politiques, mais aussi un compromis sur à la fois le contenu de la transition, le projet politique de la transition, notamment la question de la durée. Et ce qu’il faut faire pendant cette durée.
Mais tout n’est pas noir non plus. Il faut quand même dire que d’un point de vue de reddition de comptes, la Cour de répression des crimes économiques et financiers (Crief) est un bon instrument. Il reste, par ailleurs, à véritablement travailler à ce que cette machine judiciaire puisse être perçue comme égalitaire. Que cela ne soit pas vue comme étant un instrument politique puisque de plus en plus, cette démarche est en train d’être remise en cause. Et le sentiment que la Crief ne fait pas véritablement son travail est en train d’être partagé par un nombre important de Guinéens.
Aujourd’hui, la junte au pouvoir est accusée de faire la chasse aux sorcières surtout lorsqu’on voit des collaborateurs du président Alpha Condé être écroués ?
KF : Les instruments comme la Crief sont perçus comme étant des instruments politiques puisque ça questionne la gestion publique. Ceux qui pensent, aujourd’hui, que la Crief est un instrument de liquidation d’anciens acteurs du régime passé, cela va de soi puisse qu’on questionne la gouvernance passée. Naturellement, ceux qui sont en prison ne peuvent être que des ministres. Encore que, il faut, aujourd’hui, pour la Crief de travailler avec plus de sérénité à prouver surtout les accusations. Le fait que pour la plupart de spécialistes, des investigations n’ont pas été bien travaillées en amont, rend difficile le travail de la Crief.
SA : Interdiction ou répression des manifestations ainsi que la dissolution du Front national pour défense de la Constitution (FNDC). Est-ce que la junte est-elle sous pression ?
FK : Je ne saurais dire qu’elle est vraiment sous pression parce que c’est difficile de percevoir cela du moment où, elle agit. Après, il y a une réalité. Il y a une crise en gros. Lorsqu’on regarde ce qui se profile (interdiction à manifester et le fait pour le FNDC d’être interdit d’activité), cela renforce ce sentiment d’insécurité et de ne pas vouloir laisser la contradiction s’installer, même si on fait de la question de redevabilité et de promotion démocratique des chevaux de bataille. Ce qui remet carrément en cause cette rupture vendue le 5 septembre, dont parler le CNRD. D’un point de vue, le FNDC agace le CRND.
SA : Peut-on parler d’un recul de démocratie en Guinée ?
FK : Je ne pense pas qu’on puisse même parler de la démocratie dans un contexte de coup de force. Le coup d’Etat est, en réalité, une forme dégradée d’accession au pouvoir. Je pense qu’on ne peut pas parler de démocratie au moment où, on est dans une période transitoire. En principe, les coups d’Etat devraient avoir un aspect réparateur dans des contextes précédents, dont on ne partage pas. Là où on pouvait parler de reculer, c’est d’un point de vue de promesses. Le discours de prise de pouvoir est une promesse politique. Cette promesse politique implique l’observance d’un certain nombre d’aspects qui ont motivé la prise du pouvoir. Et là-dessus, vous avez donc, la liberté d’opinions parce que les libertés fondamentales étaient violées. Le fait, aujourd’hui, pour le CNRD d’empêcher des manifestations est en soi une contradiction profonde de cette promesse de prise de pouvoir.
SA : La question de la durée de la transition divise. Le CNT a adopté pour une durée de trente-six mois. Le FNDC s’y oppose. La Cédéao, quant à elle, veut d’un délai plus court. Comment interprétez-vous cette situation ou est-ce qu’il faut-il craindre les évènements de la transition de 2008 ?
KB : En 2009, on était dans le même schéma. Celui de l’atermoiement, du rejet, du manque d’ouverture et de dialogue. Il a fallu que les gens se retrouvent à Ouaga avec un médiateur nommé pour commencer à dérouler le projet politique de la transition. Le fait d’être un peu dans cet état n’est pas quelque chose d’essentielle dans la bonne tenue de la transition.
Propos recueillis par Trésor Mutombo