Les élections en Afrique sont souvent le point culminant d’un processus politique complexe, marqué par des enjeux multiples et des acteurs variés. Malheureusement, les contestations post-électorales sont devenues une réalité commune sur le continent. Pour comprendre ces événements, il est essentiel de reconnaître les responsabilités partagées des acteurs impliqués, à savoir les hommes au pouvoir, l’opposition, les commissions électorales indépendantes, la société civile, la population, l’environnement international et le système politique lui-même.
1. Les dirigeants au pouvoir
Les dirigeants au pouvoir en Afrique ont souvent tendance à s’accrocher au pouvoir. Ils cherchent à monopoliser le pouvoir en modifiant les règles du jeu électoral, en limitant la concurrence politique et en utilisant la répression. Ces pratiques sapent la crédibilité des élections et suscitent souvent des contestations post-électorales, car elles privent les citoyens de leur droit de choisir leurs dirigeants de manière libre et équitable. La responsabilité des dirigeants au pouvoir est donc essentielle pour garantir des élections démocratiques et pacifiques en Afrique.
Cette tendance à monopoliser et à confisquer le pouvoir est une préoccupation sérieuse et un facteur majeur de contestations post-électorales. Cela alimente la méfiance et l’insatisfaction au sein de la population.
Certains dirigeants modifient les constitutions de leur pays pour éliminer ou prolonger les limites de mandats présidentiels. D’autres manipulent le processus électoral en contrôlant les organes de supervision électorale ou en entravant l’accès de l’opposition aux médias et aux ressources nécessaires pour mener une campagne électorale équitable. Ces dirigeants peuvent ainsi manipuler les médias et l’information (par des coupures internet par exemple) pour contrôler le récit entourant les élections, en limitant l’accès à l’information indépendante. Certains responsables politiques préfèrent carrément utiliser la répression violente contre les opposants politiques et les manifestants, afin de maintenir leur emprise sur le pouvoir.
2. L’opposition
L’opposition doit jouer un rôle constructif en proposant des alternatives crédibles et en respectant les règles démocratiques. Il est essentiel de reconnaître que, dans certaines situations, l’opposition peut adopter une position de mauvaise foi en ne reconnaissant pas les résultats électoraux, même lorsque les preuves indiquent qu’elles ont objectivement perdu les élections.
L’opposition a la responsabilité de respecter les règles démocratiques et électorales, y compris l’acceptation des résultats lorsque le processus électoral est transparent et juste. Lorsque l’opposition conteste systématiquement les résultats sans preuves solides, cela peut entraîner une polarisation et une instabilité politique. L’opposition a le droit de contester les résultats électoraux de manière légale, en utilisant les mécanismes et les institutions appropriés, tels que les tribunaux ou les organes de médiation. Ignorer ces recours légaux au profit de la contestation dans la rue peut nuire à la crédibilité de l’opposition et au processus démocratique. L’opposition a le devoir de communiquer de manière transparente avec ses partisans et la population en général au sujet de ses préoccupations concernant le processus électoral.
Si l’opposition ne fournit pas d’explications convaincantes ou de preuves solides pour étayer ses allégations de fraude, cela peut être perçu comme de la mauvaise foi. L’opposition doit toujours prendre en compte l’intérêt supérieur de la nation et du peuple, même en cas de défaite électorale. Une obstination à ne pas reconnaître les résultats peut avoir des répercussions sur la stabilité et le développement du pays.
L’opposition a la possibilité de s’engager dans un dialogue politique avec le gouvernement pour résoudre les différends, plutôt que d’opter pour la confrontation. Lorsque l’opposition refuse de participer à un dialogue constructif, cela peut prolonger les tensions politiques et les contestations. Il est important de noter que la responsabilité de l’opposition ne doit pas être utilisée pour minimiser ou justifier des irrégularités ou de la fraude électorale réelle.
Cependant, dans un système démocratique, il est essentiel que toutes les parties prenantes, y compris l’opposition, agissent de manière responsable et respectent les principes démocratiques pour préserver la stabilité politique et la crédibilité des processus électoraux.
3. Les Commissions électorales indépendants (CEI)
Les Commissions Électorales Indépendantes ont un rôle essentiel à jouer pour assurer des élections démocratiques et pacifiques en Afrique, et elles portent également une part de responsabilité dans les contestations post-électorales. Leur capacité à agir de manière neutre, transparente et efficace est cruciale pour la crédibilité du processus électoral et pour prévenir les contestations post-électorales. Les CEI devraient être des garantes de la démocratie en veillant à ce que les élections reflètent la volonté du peuple et en travaillant en collaboration avec d’autres parties prenantes pour résoudre les différends de manière pacifique et équitable. Elles doivent agir de manière neutre et impartiale, en garantissant que le processus électoral est équitable pour tous les acteurs politiques. Toute perception de partialité ou de manque d’indépendance peut entraîner des contestations, car cela remet en question la validité des résultats électoraux.
Les CEI doivent veiller à ce que le processus électoral soit transparent, en rendant publics les résultats intermédiaires et en enquêtant sur les allégations de fraude électorale. L’opacité dans la gestion des élections ou le manque de réponses appropriées aux allégations de fraude peuvent alimenter les contestations post-électorales. Les CEI doivent communiquer de manière efficace avec toutes les parties prenantes, y compris l’opposition politique et la société civile, pour maintenir la confiance dans le processus électoral. Le manque de communication ou de consultation peut provoquer des malentendus et des suspicions, contribuant ainsi aux contestations.
Les CEI doivent être bien préparées avant les élections, en veillant à ce que les ressources nécessaires et la logistique soient en place pour un déroulement sans heurts du scrutin. Les problèmes logistiques ou les retards dans le vote peuvent susciter des mécontentements, pouvant éventuellement se transformer en contestations. Les CEI doivent veiller à l’application stricte des règles électorales, y compris la conformité aux lois électorales et le respect des droits de vote. Le non-respect des règles ou la manipulation des lois électorales peuvent susciter des réactions négatives et des contestations.
4. La société civile et la population
La société civile a un rôle crucial dans la surveillance des élections et la promotion de la transparence. Une société civile affaiblie ou compromise diminue la capacité de la population à faire entendre sa voix de manière pacifique. Les citoyens ont le devoir de participer aux élections et d’exiger des comptes de leurs dirigeants. L’apathie ou la passivité peuvent perpétuer des gouvernements inefficaces ou corrompus.
5. L’environnement international
La communauté internationale doit soutenir les processus électoraux et condamner les irrégularités. L’indifférence ou l’appui à des dirigeants contestés peuvent aggraver les tensions et l’instabilité.
6. Le système politique
Le système politique en place doit être équitable et garantir l’égalité des chances pour tous les acteurs politiques. Un système politique déficient peut favoriser la fraude électorale et l’injustice, alimentant les contestations.
7. VOIES DE SORTIE
Voici quelques recommandations pour améliorer la situation dans les systèmes politiques en Afrique et éviter les contestations électorales tout en favorisant le développement de systèmes politiques plus démocratiques :
- Renforcer l’indépendance des institutions électorales
- Établir des Commissions Électorales Indépendantes (CEI) fortes et impartiales, avec un financement adéquat et des mécanismes de nomination transparents.
- Assurer que les membres de la CEI sont des experts neutres et compétents, et non influencés par le pouvoir en place.
- Promouvoir la transparence électorale
- Mettre en place un processus électoral transparent et inclusif, en garantissant un accès égal aux médias pour tous les candidats, en autorisant la surveillance électorale indépendante et en publiant des résultats de manière régulière et accessible au public.
- Respecter l’État de droit
- Veiller à ce que les institutions judiciaires soient indépendantes et puissent traiter les différends électoraux de manière impartiale.
- Garantir que les règles électorales sont claires, cohérentes et respectées par toutes les parties, y compris les dirigeants au pouvoir.
- Encourager le dialogue politique
- Promouvoir le dialogue entre les différents acteurs politiques, y compris les dirigeants au pouvoir, l’opposition, la société civile et les groupes ethniques, pour résoudre les conflits de manière pacifique.
- Favoriser la création de mécanismes de médiation et de négociation pour prévenir les crises politiques.
- Renforcer l’éducation civique
- Investir dans des programmes d’éducation civique pour sensibiliser les citoyens aux valeurs démocratiques, aux droits de vote et à l’importance de la participation politique.
- Encourager la participation citoyenne par le biais d’organisations de la société civile.
Lutter contre la corruption
- Mettre en place des mesures anti-corruption rigoureuses pour éliminer la fraude électorale et garantir que l’argent ne puisse pas influencer indûment le processus électoral.
Soutenir la participation des femmes et des jeunes
- Encourager la participation politique des femmes et des jeunes en créant des incitations et des opportunités pour leur engagement actif dans le processus politique.
Engagement international
- Favoriser un engagement actif de la communauté internationale pour surveiller les élections, signaler les irrégularités et encourager le respect des normes démocratiques.
- Apprentissage des expériences passées
- Étudier les expériences passées de contestations électorales pour identifier les leçons apprises et éviter de reproduire les mêmes erreurs.
En conclusion, les contestations post-électorales en Afrique sont souvent le résultat de multiples facteurs et responsabilités partagées. Pour parvenir à des élections plus justes et transparentes, il est essentiel que tous les acteurs impliqués, des dirigeants aux citoyens, en passant par l’opposition et la société civile, travaillent ensemble pour renforcer la démocratie et la stabilité sur le continent africain. La prise de conscience de ces responsabilités peut constituer le premier pas vers un avenir politique plus prometteur.
Il est essentiel de noter que chaque pays africain est unique et que les solutions doivent être adaptées à sa réalité politique et culturelle spécifique. La démocratie ne se construit pas du jour au lendemain, mais avec un engagement à long terme en faveur de la transparence, de la responsabilité et de la participation citoyenne, elle peut s’épanouir et contribuer au développement durable et à la stabilité politique en Afrique.
Professeur d’universités, Chercheur et analyste politique, Dédé Watchiba