Coup d’Etat au Niger : «…les raisons avancées par les putschistes sont fallacieuses» (Francis Laloupo)

Coup d’Etat au Niger, éviction du président Mohamed Bazoum, pressions de la Cédéao, succession de putschs et la démocratie en Afrique de l’Ouest… Entretien du journaliste Francis Laloupo, auteur de « Blues démocratiques : 1999-2020 » et chercheur associé à l’IRIS, à Sahutiafrica.

Mali, Burkina Faso, Guinée, Niger… L’Afrique de l’Ouest est dans la spirale des putschs militaires. Au Niger, le général Tiani Abdourahamane, chef de la junte au pouvoir à Niamey, a déposé le président Mohamed Bazoum, élu en 2021. Le chef de l’Etat est détenu dans sa résidence. Les putschistes justifient ce putsch par la dégradation de la situation sécuritaire au Niger, confronté à la menace djihadiste dans la zone dite de trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Dimanche, la Communauté économie des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a imposé des sanctions à la junte, en lui donnant un délai d’une semaine pour rétablir Mohamed Bazoum, président déchu. L’organisation sous-régionale brandit aussi la menace d’une intervention militaire. Les juntes au Burkina et au Mali défient la Cédéao et font bloc derrière le général Tiani. Dans un communiqué commun, elles ont averti qu’ils considéreraient une intervention militaire au Niger comme une « déclaration de guerre ». Pour le journaliste Francis Laloupo, les raisons avancées par les putschistes sont fallacieuses. Entretien.

Sahutiafrica : Comment analysez-vous la situation au Niger ?

Francis Laloupo : Le coup d’Etat est parti de la tension entre le chef de la Garde présidentielle, le général Tiani et le président Mohamed Bazoum, qui aurait envisagé de l’affecter à un autre poste. Nous sommes dans une situation où une querelle presque administrative se transforme en un coup d’Etat. Ça nous amène à s’interroger sur la grande fragilité de certains de nos Etats africains. Ceux qui sont en train de défaire le président Bazoum avancent comme première raison, la dégradation de la situation sécuritaire. Je pense que c’est une raison peu défendable dans la mesure où le Niger a été présenté au cours des derniers mois comme le pays qui a géré de la manière la plus efficace la question sécuritaire dans ce triangle Niger, Mali et Burkina Faso. D’ailleurs, les mêmes militaires, qui sont en train de critiquer la situation sécuritaire, ont vanté justement le succès du Niger il y a quelques semaines encore. Tout cela semble fallacieux. On a le sentiment qu’on a affaire à un coup d’Etat de convenance personnelle. Sur le plan politique, c’est beaucoup moins défendable que ce qui se passe antérieurement au Burkina Faso et au Mali.

SA : Une intervention militaire est-elle plausible ?

FL : La menace d’une intervention militaire est tout à fait plausible, même si pour l’instant, la Cédéao n’a pas une forte latente susceptible d’intervenir. Mais il y a déjà eu des situations, où les forces ont été constituées dans des délais très bref, avec un fort contingent nigérien. Le dernier exemple en date, c’était justement la Gambie. Il faut quand même observer le système de règlement de conflits de la Cédéao au cours des vingt dernières années, voire plus. La Cédéao a une présence militaire forte. Elle a démontré lors du conflit en Sierra Leone. La Cédéao a géré les coup d’Etat à répétition en Guinée-Bissau. Ce n’est pas une nouveauté le fait que la Cédéao projette une intervention militaire pour mettre fin à une situation qu’elle juge anticonstitutionnelle et anormale. C’est vrai qu’il y a un traitement particulier qui est, aujourd’hui, appliqué à la situation du Niger. C’est pour deux raisons. Le président Bola Tunibu, président en exercice de la Cédéao, a fait un discours très fort sur la nécessité démocratique et d’autre part le refus de coups d’Etat. Le message qui est envoyé par cette paquette de sanctions, c’est d’abord la crainte de contingents de coup d’Etat dans la région. C’est le fait que le coup d’Etat pourrait devenir la norme, alors qu’ils sont justement qu’ils se sont manifestés au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et, aujourd’hui, au Niger.

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SA : Le Mali et le Burkina Faso, qui soutiennent les putschistes, menacent de déclarer en cas d’une intervention militaire de la Cédéo au Niger. Ne faut-il pas craindre le risque de voir cette région, déjà instable, s’embraser ?

FL : Au-delà de déclarations intempestives des juntes militaires du Mali et du Burkina Faso essentiellement politiques, on voit mal une sorte de guerre fratricide au sein de la Cédéao. Ce sont des projections qui sont difficiles à faire. On peut même aller plus loin et on peut se dire que ce serait quand même étonnant que ces deux pays puissent réorienter leur agenda et versent dans des confrontations, alors que leurs armées sont fortement sollicitées par une crise sécuritaire de plus en plus complexe et inquiétante sur leur propre territoire.

SA : La Cédéao tente-t-elle de sauver son image face à cette situation des changements anticonstitutionnels ?

FL : Lorsqu’il y a eu le premier coup d’Etat au Mali, on se dit que c’était le retour de coup d’Etat. C’était l’anomalie, une parenthèse de fracture. Puis, il y a un deuxième coup d’Etat au Mali. Il y a deux coups d’Etat au Burkina Faso. Un coup d’Etat en Guinée. C’est une situation évolutive qui est plus inquiétante, aujourd’hui. La situation de coups d’Etat n’est plus considéré comme un phénomène passager et qu’il pourrait s’installer comme la norme dans la région. Les réactions de la Cédéao, aujourd’hui, sont beaucoup plus intenses que celles que la Cédéao avait manifestées il y a trois ans vis-à-vis du Mali et du Burkina Faso.

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SA : Mais que peut signifier ce nouveau putsch dans la région du Sahel qui, face à la menace djihadiste, le cinquième en l’espace de trois ans ?

FL : Comme on l’a remarqué, le premier pays qui a ouvert le bal de putsch, c’est le Mali. La situation sécuritaire n’a cessé de se dégrader depuis 2014 avec un pouvoir politique de plus en plus affaiblit. Ce sont ces éléments qui ont constitué un terrain favorable au coup d’Etat militaire. Au Burkina Faso, la situation militaire a également été un terrain favorable au coup d’Etat. Mais ces coups d’Etat sont transformés aussi à un système politique en tant que tel. D’abord, les délais de transition ont été exceptionnellement longs. Ces transitions ne sont pas encore arrivées à terme. Les juntes au Mali et au Burkina Faso ont transformé leur prise de pouvoir à une revendication quasiment idéologique avec cette alliance qui est nouée avec la Russie. Aujourd’hui, cela constitue en soi un discours politique et un moyen de légitimation de leur pouvoir. Nous avons affaire à quelque chose qui devient un système, alors que les coups d’Etat sont considérés comme une fracture momentanée dans la vie d’une nation.

SA : Peut-on dire que la démocratique a montré ses limites en Afrique de l’Ouest ?

FL : Ce n’est pas la démocratie qui est en cause. C’est le non-respect des règles démocratiques depuis 30 ans par un certain nombre de régimes. Ce sont des dirigeants élus démocratiquement, qui n’ont pas rempli leurs obligations de renforcer, consolider et de procéder à un encrage démocratique dans ces pays. Ils ont, d’une certaine façon, amené une certaine population à désespérer de la cause démocratique. Lorsqu’une génération a observé la question démocratique comme une succession des fraudes électorales, des coups d’Etat constitutionnel et toutes entorses que l’on peut commettre contre la démocratique, on peut comprendre que cette population se pose des questions sur la pertinence même du choix du système démocratique. Cela nous amène à nous interroger sur une étape suivante. Si on jette la démocratie parce qu’elle n’a pas fonctionné et surtout, les règles n’ont pas été respectées, on s’en débarrasse. On va faire quoi alors ? On va vers de nouveaux systèmes autoritaires et des nouvelles dictatures ? Je ne suis pas certain que cela soit l’aspiration des populations.

Entretien réalisé par Trésor Mutombo

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